Orion, le vent du large dans la peau
vendredi 3 juin 2005.
Par Ana Lutzky
L’association Orion
permet aux déficients visuels la pratique de la voile avec le plus d’autonomie
possible, les sensations liées au vent offrant un panel de repères exploitables
sans la vue.
Jour de Brest, sur les
flots. Mathieu, en maîtrise de Sciences et techniques des activités physiques
et sportives (Staps), barre un voilier, les yeux
fermés. Non pas qu’il connaisse la mer comme sa poche, mais pour mieux sentir
le sens du vent. Soudain, la question : que donneraient des expériences de
voile avec des non-voyants dans le cadre de son mémoire ? Sitôt, dit sitôt
fait : il rencontre à l’Institut pour l’insertion des personnes
déficientes visuelles (Ipdv) Bruno, un ancien motard
ayant perdu
Aujourd’hui, ce repaire
d’étudiants en Staps et autres voileux
accueille des non-voyants venus de toute la France pour y naviguer. Mathieu y
cultive son goût des expériences : en doctorat, il cherche désormais à
développer des cartes numériques virtuelles tactiles qui permettront
d’appréhender le déplacement du voilier en temps réel. Pour l’instant,
l’association se contente d’utiliser des cartes dont les traits de côtes sont
repassés en relief. Sur le pont, des boutons donnent de façon vocale la
position géographique, la vitesse, le cap.
Efficace : Ti
Jean, non-voyant, est le premier à informer l’équipage de la nécessité de
virer, la digue du port de commerce étant à 500 mètres ! De nuit, Ti Jean
barre même mieux que Mathieu. Un atout lors de la Transmanche 2004 qu’ils ont
effectuée en double.
Empire des sens. Les gros gilets de
sauvetage, avec leurs collerettes à l’arrière, empêchent la sensation utile du
vent sur le visage ? Ils sont illico remplacés par des gilets fins,
gonflés automatiquement au contact de l’eau. “ Tout est lié : les marins
écoutent l’écoulement de l’eau sur laquelle glisse l’engin, les voiles qui fasseyent, sentent les vibrations le long de la coque, la
gîte du bateau... ”. Des pré-réglages sont définis
par des scotchs sur les écoutes de grand voile, pour qu’après un ajustement
grossier, les marins affinent, comme sur un instrument de musique. Une équation
aux mille variables peu explicables. Ti Jean tente de traduire à Mathieu au
plus près les sensations qui le font agir sur l’eau. Mais parfois, la
technicité laisse place à l’instinct : “ Je le sens, c’est tout ”.
Michèle, 41 ans, n’a jamais vu de sa vie. Un jour en mer, elle peine à barrer,
et une fois le spi levé, la tâche lui est encore plus laborieuse. Se met alors
à discuter avec Ti Jean. “ Elle barrait admirablement bien. Depuis on lui
dit : Michèle, ne pense pas aux voiles ! ”.