Université de Bretagne Occidentale

 

Ecole doctorale « sociétés, littératures et langues »

 

 

 

 

Mémoire de recherche présenté en vue de l’obtention du

 

Diplôme d’Etudes Appliquées

 « Cultures et civilisations de la Bretagne et des pays celtiques »

 

 

 

 

Mention « Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives »

 

 

 

 

La construction d’une représentation spatiale non visuelle

Une etude sur la regate sonore des marins non-voyants

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présenté par

Mathieu Simonnet

 

 

 

 

 

Sous la direction conjointe de

Messieurs Philippe Lacombe et Jean-Yves Guinard

 

 

 

 

Septembre 2004


Je remercie tout particulièrement les membres de l’association Orion pour le temps alloué aux expériences, et monsieur Jean-Yves Guinard pour ses précieux conseils.


 

 

Sommaire

I.    Préambule   5

II.    Introduction   10

II.1.    La spécificité de la cécité   11

II.1.a.   D’un point de vue fonctionnel  11

II.1.b.   D’un point de vue psychologique  12

II.2.    La représentation de l’espace et sa construction   14

II.2.a.   La construction de l’espace  15

II.2.b.   La représentation spatiale en cours d’action   16

II.2.c.  Représentations transitoires et permanentes : l’importance de la représentation sémantique selon Ehrlich   19

II.2.d.  La représentation imagée : un support euclidien pour la construction de l’espace                                                                                                                                                                                                                                                                                     22

II.2.e.   Les cartes cognitives  24

II.3.    Représentation, espace et cécité   25

II.3.a.   La construction de représentation spatiale imagée chez les aveugles  26

II.3.b.   La modalité spatiale auditive dans les deux dimensions  29

II.3.c.   La modalité spatiale haptique dans les deux dimensions  30

II.3.d.   Utilisation de cartes en relief et stratégie d’exploration tactile. 32

II.3.e.   Les limites non négligeables de la précision des cartes en relief  35

II.4.    Cécité, voile et déplacement   36

II.4.a.   L’utilisation de la carte tactile match-racing sonore  37

II.4.b.   La technique du repère de temps à vitesse constante  38

II.4.c.   Le rôle de l’élément « vent » dans l’appréhension de la direction   40

II.4.d.   La construction de la carte cognitive du parcours sonore en voile  40

II.4.e.   Les applications pratiques se multiplient avec l’expertise  41

II.5.    Problématique et Hypothèse générale   42

III.    Expérimentation exploratoire   43

III.1.    Expérience sur « l’élément vent » comme repère d’orientation   44

III.1.a.   Protocole 1  44

III.1.b.   Recueil de données  45

III.1.c.   Résultats de l’expérience 1  46

III.2.    Expérience de localisation d’un son en distance et orientation   47

III.2.a.   Protocole 2  47

III.2.b.   Recueil de données  49

III.2.c.   Résultats de l’expérience 2  50

III.3.   Expérience sur les directions des trajectoires avec des repères sonores ou tactiles. 52

III.3.a.   Protocole 3  52

III.3.b.   Recueil des données  53

III.3.c.   Résultats de l’expérience 3  53

III.4.    Expérience sur l’unité de distance   57

III.4.a.   Protocole 4  57

III.4.b.   Recueil des données  58

III.4.c.   Résultats de l’expérience 4  58

III.5.    Expérience de représentation de trajectoire   60

III.5.a.   Protocole 5  60

III.5.b.   Recueil de données  62

III.5.c.   Résultats de l’expérience 5  63

III.6.    Vérification de l’hypothèse générale   66

IV.    Discussion   68

IV.1.    Le rôle des informations liées à l’action   69

IV.2.    Le rôle des représentations permanentes  74

IV.3.    Les Interactions entre les représentations transitoires et permanentes à coordinations verticales et horizontales  81

V.    Considérations d’ordre pratique   84

VI.    Conclusion   87

VII.    Perspectives  88

Glossaire  90

Annexes  91

Annexe 1  92

Annexe 2  93

Annexe 3  94

Annexe 4  95

Annexe 5  96

Annexe 6  97

Bibliographie  98

 


I.                   Préambule


A Brest, l’association Orion propose aux personnes déficientes visuelles de naviguer à la voile de façon adaptée depuis mars 2002. Actuellement dix marins déficients visuels se retrouvent chaque semaine.

L’objectif de cette étude est d’aider les marins non-voyants à améliorer leurs représentations de l’espace au cours de régates à la voile.

Les questions que pose ce problème font appel à trois champs théoriques bien distincts. Tout d’abord, la spécificité de la cécité réside dans la nature et les limites des perceptions non visuelles pour l’appréhension de l’espace. Ensuite, la multiplicité des théories de la psychologie cognitive nécessite de définir le cadre scientifique dans lequel nous expliquons le fonctionnement des mécanismes mentaux liés à la représentation spatiale non visuelle. Finalement, la logique interne de l’activité voile, étrangère du lecteur non-initié, est essentielle à la compréhension des questions gravitant autour de la réalisation de déplacements efficaces sur un parcours de régate et de leurs représentations en absence de perceptions visuelles.

A notre sens, ce dernier point avertit le lecteur profane en voile que les exemples pratiques et les expériences embarquées peuvent lui paraître complexes.

Aider les marins non-voyants à se représenter l’espace en voile est un but général et précis à la fois.


 

Notre intérêt se porte sur les représentations de l’espace des individus non-voyants en général, c’est-à-dire dont la cécité complète est apparue dès la naissance ou accidentellement. L’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat leur permettent de percevoir l’environnement. Les yeux, organes du « sens intégrateur » (Hatwell, 2000), ne participent pas ou plus à recueillir les sensations visuelles. Dans cette situation, l’espace lointain, ou impalpable, est majoritairement appréhendé à travers des sensations auditives. Ces dernières entraînent des perceptions permettant au système nerveux central d’élaborer des représentations. Mais dans quelles mesures les représentations spatiales peuvent-elle être efficaces sans être visuelles ?

Nous appliquons cette question générale à une situation bien précise. Le match-racing est une discipline bien identifiée de la voile sportive. Elle se pratique sous la forme de duel impliquant deux voiliers identiques. Elle est adaptée à la cécité grâce à un parcours de régate constitué de bouées sonores d’une part et d’embarcations émettant un son à intervalle régulier d’autre part. Ce dispositif rend possible un repérage spatial auditif. Cependant la précision de ce dernier semble limitée.


 

La problématique de la pédagogie pour les personnes déficientes visuelles en activité voile, et plus précisément en match-racing sonore, réside dans l’importance de son coût attentionnel. En effet, l’équipage en duo doit gérer dans cet ordre, la marche du voilier, la position sur le parcours, et la position et l’évolution de l’adversaire avant de prendre chaque décision. Actuellement, les sujets non-voyants les plus experts en match-racing sonore ne rencontrent plus de difficultés à « faire marcher » le voilier. Par contre, un manque de repères quant à la position de leur propre embarcation constitue une difficulté certaine. Dans ce contexte, la prise en compte de la position de l’autre embarcation, pourtant essentielle dans la logique interne de cette activité duelle, s’avère assez laborieuse. L’attention actuellement libérée par des repères stables et précis sur la conduite du voilier (Simonnet, 2002) permet aux marins non-voyants de se concentrer sur l’élaboration d’une représentation plus précise de la position de leur propre embarcation sur le parcours. Si nous considérons les représentations comme « évocatrices d’un objet ou d’un événement absent du champ actuel de la perception » (Piaget, 1937), cette lacune en représentation de la position propre de l’embarcation des sujets d’une part, et l’absence quasi-totale de représentation de l’embarcation adverse d’autre part compromet sérieusement les réflexions tactiques. En effet, comment les marins non-voyants pourraient-ils profiter de façon pertinente de leur position pour gêner l’adversaire alors qu’ils ne savent pas précisément où ils se trouvent par rapport au parcours et encore moins ou se trouve l’autre embarcation ? Afin de passer à un niveau supérieur d’expertise où les sujets prennent en compte la position de l’autre équipage et en déduisent des options tactiques, il est nécessaire de permettre aux sujets non-voyants d’élaborer une représentation spatiale précise de leur position sur le parcours. Ce problème apparaît particulièrement complexe et constitue à lui seul l’objet de cette étude.


 

Nous étudions donc les représentations de l’espace maritime des marins non-voyants navigant à la voile sur un parcours de régate sonore. Quelles sont les limites des perceptions auditives dans la constitution de l’espace lointain en voile. Quelle est l’efficacité du balisage sonore pour permettre aux marins non-voyants de se repérer en voilier ? Dans quelles mesures l’élément « vent » participe-t-il au repérage spatial ? L’utilisation de cartes tactiles est-elle efficace ? Comment les personnes privées de la vue manipulent-elles ces cartes ? Quelles sont les représentations spatio-temporelles inhérentes à cette activité ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre au cours de cette étude.


 

Figure 1

Carte « en noir » schématisant la représentation de l’espace maritime utilisée par des sujets non-voyants au cours de l’activité match-racing sonore de l’association Orion à Brest

 

II.                Introduction

Comme indiqué en préambule, cette étude fait appel à trois champs théoriques distincts et précis. La fusion des trois permet d’établir la problématique centrale. L’introduction à cette problématique nécessite de définir précisément ce que nous entendons par cécité d’un point de vue psychologique.

Ensuite la définition de l’espace et la construction de sa représentation pour l’être humain nous amèneront à expliquer comment se forment les représentations permanentes selon Ehrlich (1985), chercheur en linguistique et compréhension du langage. Nous montrerons également en quoi les caractéristiques de la représentation imagée paraissent propices pour un repérage spatial précis.

Par suite nous étudierons les possibilités de construction des représentations imagées non visuelles grâce aux signaux auditifs et tactiles. Ces derniers pourraient-ils participer à l’élaboration d’images mentales chez les personnes non-voyantes ? Nous chercherons ensuite les limites de la « carte en relief » appréhendée par ce public.

Finalement nous tenterons d’expliciter les outils et la stratégie que nous mettons en place pour aider les marins non-voyants à se repérer à la voile dans l’espace du parcours sonore de match-racing.


 

II.1.                  La spécificité de la cécité

Depuis le Xème ou XIème siècle, les personnes atteintes de cécité sont appelées « aveugles » (du latin ab oculis, ou « sans œil »). Cette dénomination va à l’encontre du concept de « Défectologie » de Vygotski (1896-1934) dont le principe est de définir les êtres par leurs compétences et non à travers leurs déficiences. Depuis 1980, selon la volonté des aveugles eux-mêmes, l’appellation « non-voyant » est de plus en plus substituée à celle d’aveugle. Les sujets participants à cette étude n’attachent que peu d’importance à l’utilisation de l’un ou de l’autre de ces termes dans le sens où ils ont strictement la même signification, l’un en latin, l’autre en français. Un sujet déclare préférer le terme « aveugle » pour « ne pas être sur protégé ou sur assisté du fait de son handicap ». Aussi ces deux mots seront utilisés de façon indifférenciée au cours de cette étude.

II.1.a.          D’un point de vue fonctionnel

Selon l’O.M.S.*[1], la définition légale de la cécité correspond à « une acuité visuelle inférieure à un dixième ou un champ visuel inférieur à vingt degrés du meilleur œil et après correction optique ». Les personnes disposant de résidus visuels forment un groupe dont l’équipement perceptif est bien plus hétérogène qu’il n’y paraît. La moindre information visuelle est utilisée et particulièrement bien exploitée « spatialement ». On remarque par exemple que les individus jouissant d’une vision exclusivement périphérique voient les obstacles en fixant leur attention latéralement, alors que les malvoyants dont le champ est central savent « balayer » l’espace afin de tenter de se le représenter dans sa globalité. Aussi, nous réduirons notre définition de la cécité à l’absence totale de signaux visuels. Ce choix qualitatif permet de traiter de façon rigoureuse le problème de la représentation spatiale autre que visuelle mais complique le recrutement des individus pour la constitution d’échantillons expérimentaux.

II.1.b.          D’un point de vue psychologique

Pour la phase expérimentale de cette étude, nous devons connaître les différences existantes concernant les représentations de l’espace des voyants, des voyants les yeux bandés, des non-voyants précoces* et des non-voyants tardifs* ?

Les sujets voyants disposent d’un outil puissant et précis de prise d’informations à distance. Ils ne se servent que peu des informations fournies par les autres sens. D’après Imbert et De Schonen (1994), « la vision est la modalité sensorielle principale qui permet d’acquérir des connaissances sur les objets et les évènements qui peuplent le monde ».

Les sujets voyants les yeux bandés sont privés du sens qu’ils utilisent le plus souvent pour appréhender l’espace et n’ont pas appris à se servir des autres sens. Au cours d’expériences sur les conflits intermodaux entre l’audition et le toucher, Kujala et al. (1997) montrent que les performances des voyants dans le noir et des aveugles sont peu comparables dans le sens où le public non-voyant possède un entraînement quotidien à ce type de tâche. Par exemple, traverser une route sans la vue nécessite de se localiser au sol grâce aux sensations tactiles pédestres tout en analysant les bruits des moteurs.

Les aveugles précoces* n’ont aucun souvenir visuel et ne construisent leur espace qu’à travers les autres modalités sensorielles. D’après Hatwell (2004) psychologue spécialiste de la cécité, les sujets ayant perdu la vue avant l’âge de six mois ou un an n’ont pas eu le temps d’utiliser leurs yeux pour le développement cognitif. D’un point de vue psychologique, on peut parler ici d’une cécité précoce. Cependant l’absence totale d’expériences visuelles des aveugles précoces peut être compensée par l’utilisation de cartes tactiles pour avoir une représentation spatiale globale et précise de l’espace distant fondée sur une image tactile explique ce professeur. Par ailleurs, la forme du « nœud de huit » est bien plus mystérieuse pour Michèle, aveugle de naissance, que pour un individu ayant vu ce chiffre graphiquement pendant sa vie de voyant. Il paraît tout aussi impossible pour un individu n’ayant jamais vu de se représenter concrètement ce qu’est la vision, que pour un voyant d’imaginer une représentation du monde indépendante du sens visuel.

Les aveugles tardifs* disposent de certaines images mentales visuelles construites sur des souvenirs de leur vie de voyant. Hatwell (2004) considère que la conservation de telles images demande d’avoir vu jusqu’à trois ans. Ainsi, le handicap des personnes ayant perdu l’usage de leurs yeux entre les âges d’un et trois ans n’est pas précisément défini. Bruno, atteint de cécité à l’âge de vingt-huit ans, déclare se représenter visuellement certains espaces distants grâce aux informations issues des autres modalités sensorielles.

Avant d’approfondir ces questions liées à la représentation spatiale en situation de cécité, il paraît nécessaire de définir psychologiquement cette notion d’espace.


 

II.2.                  La représentation de l’espace et sa construction

D’une façon très générale, le dictionnaire définit  l’espace comme une « étendue indéfinie qui contient et entoure tous les objets » (Petit Larousse illustré, 1991). D’une façon mathématique, l’espace peut-être défini suivant les axes des trois dimensions : x-x’ pour la longueur, y-y’ pour la hauteur et z-z’ pour la profondeur.

Nous nous intéressons ici à l’espace relatif au sujet. « La géométrie du corps et ses possibilités motrices conduisent à distinguer clairement deux limites séparant trois parties de l’espace : l’espace du corps proprement dit, délimité par le revêtement cutané, l’espace proche (péricorporel), dont la limite est donnée par les points que l’organisme peut atteindre sans activité locomotrice, et l’espace lointain (extracorporel), hors d’atteinte sans activité locomotrice » (Honoré et al., 2002). L’espace du corps est principalement identifié à travers la modalité proprioceptive. L’espace péricorporel fait ensuite intervenir la vision et le toucher de façon prégnante. Finalement l’espace lointain est principalement appréhendé à travers les informations visuelles et auditives. Cependant, (Paillard, 1986) explique que l’invariant gravitaire permet d’accorder l’espace égocentré postural, disposition relative du tronc, de la tête et des segments propres à un organisme, soit l’« espace du corps » ; et l’espace allocentré objectal, position relative des objets et des êtres de l’environnement révélant sa configuration globale, comprenant l’« espace proche » et « l’espace lointain ». La considération de l’importance des invariants est en accord avec les travaux de Ohlmann (1990) selon lequel les contraintes imposées par la pesanteur à l’environnement terrestre constituent des référentiels privilégiés pour l’individu. Cette pesanteur introduit la verticalité et donc la référence pour le maintien de la posture.

Par ailleurs, lors de nos déplacements, « la stabilité perceptive de l’environnement spatial, alors que les organes sont sans cesse déplacés, ou réciproquement l’assurance que c’est une partie de l’environnement qui se déplace, n’est obtenue qu’à deux conditions : être informé sur ses propres modifications de position d’une part ; référer sa position initiale comme sa position finale par rapport à des invariants spatiaux présents dans l’environnement d’autre part » (Paillard, 1973). L’activité visuelle apparaît primordiale pour l’activité de déplacements. En effet, le défilement visuel du paysage et la localisation des lieux où nous sommes impliquent constamment l’usage de nos yeux.

II.2.a.          La construction de l’espace

Selon Piaget et Inhelder (1977), la possibilité de se représenter un espace mathématisé ou euclidien est l’aboutissement du processus développement cognitif de l’être humain. Jusqu’à dix-huit mois, l’enfant ne dispose que d’un espace d’action topologique, où ne sont induites que des relations entre les objets mais sans évaluation des distances. Cet espace est structuré par un invariant, l’objet permanent. L’évolution cognitive amène un espace représentatif. Ce dernier est projectif ; ainsi il offre au sujet la possibilité de considérer des objets absents de ses champs visuels, tactiles et auditifs. Ces opérations mentales qui sont pour Piaget et Inhelder (1966) des actions intériorisées vont aboutir à la construction de nouveaux invariants tels que la conservation des longueurs, des distances, des volumes, etc. Finalement lorsque le sujet est capable d’utiliser le système métrique pour mesurer ces invariants, l’élaboration de l’espace euclidien est réalisée.

La conception piagétienne de l’élaboration de la représentation spatiale attribue l’existence des objets permanents à la coordination entre les modalités visuelle et haptique* dès la construction de l’espace d’action. Ainsi, c’est l’action qui organise les perceptions. Ces coordinations des actions sont à l’origine de structures organisées par des concepts comme celui de la réversibilité ou de la conservation. L’enfant se constitue par étape, les stades, étapes caractérisées par les structures logiques constituées. Les structures servent pour stabiliser les représentations de l’espace. Un nouvel espace est assimilé par les structures spatiales du sujet.

Pour Piaget et Inheldher (1966), l’approche de la représentation par l’action gravite autour de l’image en tant que « produit d'une intériorisation de l'imitation différée ». Ces derniers démontrent la nécessité d'une activité sensori-motrice d'imitation pour l'élaboration d'une représentation mentale. Pour construire une représentation spatiale, l’être humain doit au préalable reproduire un déplacement sur lequel il a reçu des informations de l’extérieur. L’approche de Le Ny (1994) précise que ces informations permettent d’établir « une représentation interne suscitée en l’absence de son objet et ayant des caractéristiques proches de la perception », soit une image mentale

Chez Paillard, le sens proprioceptif musculaire unifie les différentes informations extéroceptives concernant l’espace (Paillard, 1974). Cette idée est une illustration de l’importance accordée au mouvement et à l’action dans les conceptions actuelles de la perception de l’espace et de la perception en général (Reuchlin, 1977).

II.2.b.          La représentation spatiale en cours d’action

Gibson (1966) avance que les perceptions présentes dans l’action ne sont pas nécessairement des supports pour des représentations mentales. Ce dernier considère les stimuli comme des sources d’informations (information pickup) ne nécessitent pas de faire appel à des processus cognitifs plus complexes (information processing). En se référant aux gestaltistes pour ce qui est de la vision, Gibson (1950) écrit que le stimulus « contient suffisamment de variations pour rendre compte de tous les traits du monde visuel ». Dans sa théorie écologique, Gibson (1979) définit le concept des « affordances » comme les informations pertinentes directement prélevées dans l’environnement. Sa théorie défend la capacité des outils sensoriels, notamment les organes auditifs, à réaliser le traitement de l’information. Ainsi, grâce aux notions de voisinage spatial (adjacent order) et temporel (succesive order) les sons complexes des bouées sonores offriraient toutes leurs informations (nature, distance, position) aux sujets non-voyants sans qu’aucun traitement cognitif plus approfondi ne soit requis.

Marr (1980) réagit aux travaux de Gibson (1966). Pour ce psychologue, les organes sensoriels ne réalisent que « l’esquisse primaire brute » (raw primal squetch) permettant de distinguer les variations des stimuli. Tout concept d’ordre supérieur renvoie au traitement de l’information par le système nerveux central. Le stimulus auditif issu d’une bouée sonore ne serait donc appréhendé par l’ouïe qu’à travers ses variations ; toute déduction de distance ou d’orientation nécessiterait un traitement de l’information impliquant des représentations mentales en cours d’action. Nous cherchons ici à expliciter le fonctionnement cette esquisse primaire brute.

Certains psychologues sont dits néo-structuralistes comme Houdé (1998). Ce dernier tente d’aménager le modèle piagétien en articulant le rôle des symboles et celui des structures. Ainsi, chaque stimulus est « rangé » dans une catégorie préexistante tout en restant une information bien spécifique de part le symbole qui la précise. Par exemple un cri d’oiseau (catégorie de la structure) est un son dont les caractéristiques (symboles) traduisent la proximité et la frayeur de l’animal par exemple.

Les symboles issus de la perception et des structures organisées par l’action se complètent pour constituer la représentation spatiale. « Si l’image comporte un élément de reconstruction active, son rapport avec la perception n’est plus mis en doute » (Bideau et al., 1993). Actuellement, les représentations mentales se fondent sur les interactions entre nos actions et nos perceptions. En effet, les informations perçues en activité sont les feed-back nécessaires à l’élaboration de l’action qui participent à la constitution de la représentation mentale. Pour Houdé (1998) « à travers ses expériences l’individu construit un modèle intériorisé de son environnement, des objets qu’il y rencontre et des interactions qu’il y développe ». Les actions réalisées pour faire le tour des bouées sonores sont issues de la représentation de l’espace et des actions précédentes. Cependant, bien que le son ne semble renseigner qu’approximativement sur le contexte spatial, il ne serait pas possible à un sujet non-voyant de changer de direction pour enrouler la bouée si la perception auditive ne l’avait pas renseignée sur le fait qu’il était en train de la dépasser.

Cette primauté de l’action dans la construction d’une représentation pertinente de l’espace a conduit Varela (1986) à concevoir la représentation comme une construction nouvelle, une « énaction », c’est-à-dire une représentation émergeant à la fois de l’ensemble des stimuli en présence et de la condition de l’organisme issue de la totalité des expériences antérieures et structurée par l’action. Ces ensembles forment des cartes neuronales. Ces représentations ne sont plus des mises à jour des structures existantes mais de constructions ad hoc adaptées au problème à résoudre. Varella (1986) utilise les travaux de Hebb (1958). Selon la « règle de Hebb », l’apprentissage est basé sur les modifications du cerveau émanant du degré d’activité corrélée entre les neurones : « si deux neurones s’activent au même moment, leur lien est renforcé ; autrement il est diminué. Ainsi, la configuration du système devient inséparable de l’histoire de ses transformations et du type de tâche qui lui est imparti ». Ainsi, l’activation des neurones auditifs issus de la même carte neuronale spatiale corrélée à des neurones tactiles et temporels est constamment réactualisée au cours de l’action. Lors d’une activité de repérage spatial d’un sujet non-voyant sur un parcours sonore maritime, l’expérience passée peut apporter l’élément « temps de parcours » pendant que les stimuli inhérents à l’action, indices sonores issus des bouées et intensité des sensations de vitesse par exemple forment un tout capable de modifier la carte neuronale initialement activée et sa signification. Ces cartes ne sont pas figées. Outre apporter au sujet la possibilité de construire un environnement à partir de repères issus de différentes modalités, elles sollicitent systématiquement l’expérience antérieure. Ainsi chaque activité du système modifie la dernière énaction spatiale.

En accord avec le cadre théorique de Marr (1980), Paillard (1984) explique à travers un article antérieur à l’œuvre de Varella (1986) comment les activités sensorimotrices et cognitives se complètent dans l’objectif d’une « représentation globale unifiée et cohérente de l’environnement spatial qui émerge soit directement de la manipulation motrice de notre monde sensible, soit indirectement des traitements qui opèrent sur les représentations internes ». Ici, la représentation de l’action est dépendante de l’action en cours.

Ces modèles conçoivent la construction de la représentation comme une recomposition des structures existantes dans le cadre de contexte nouveau. Par ailleurs, Ehrlich (1985) explicite le fonctionnement de la structure existante à l’aide des concepts de représentations permanentes à coordinations horizontales et verticales. 


 

II.2.c.           Représentations transitoires et permanentes : l’importance de la représentation sémantique selon Ehrlich

Bien que les travaux d’Ehrlich (1985) portent plus particulièrement sur la compréhension du langage et des écrits, ils intéressent vivement l’approche spatiale de cette étude.

Cet auteur s’intéresse au sens et à la signification des représentations. Il définit ces dernières comme « des arrangements particuliers de concepts momentanément actifs ». Pour ce chercheur, la mémoire à long terme, ou permanente, est un lieu de stockage de concepts définis comme des « unités potentielles inactives et non reliées ». Cette structure existante ne devient efficace que lorsque les concepts sont combinés entre eux pour donner lieu à une représentation sémantique en mémoire de travail. Le passage d’unités potentielles, polysémiques, inactives et indépendantes à des éléments actifs, relatifs à un contenu précis est principalement généré par la perception de signaux textuels ou contextuels. Ainsi une succession de mots augure une représentation sémantique liée à la phrase de la même manière qu’une suite de positions implique une trajectoire. Cependant la méconnaissance de l’alphabet ou des indices sonores propres à la position entrave à la construction active d’une représentation efficace.

La présence d’éléments contextuels ne suffit donc pas à la production de représentation sémantique. Toutes les unités, structures, fonctions et opérations doivent être prises comme des éléments du système mental. Il est tentant de résumer l’apprentissage de la manière suivante : « plus l’étendue du stock conceptuel est grande, plus le potentiel représentationnel est important ». Ehrlich (1985) défend une richesse quantitative mais également qualitative du système conceptuel. Ainsi la souplesse des capacités combinatoires permet au sujet de suivre un fil directeur construit tout au long de sa vie et assurant une cohérence entre les informations, les perceptions et les représentations. Certains exemples de l’activité voile des personnes non-voyantes illustrent bien ce fonctionnement. La présence de l’élément « vent » génère des informations évidentes, sensations cutanées, signaux auditifs… Aussi, après avoir naviguer à l’« allure du près »*, où le « vent vitesse »* s’additionne au « vent réel »*, de nombreux sujets assimilent l’importante diminution de l’intensité des sensations à une absence subite de vent lorsqu’ils glissent vent dans le dos. Pourtant ils sont tout de même étonnés d’une variation aussi rapide de l’élément et de surcroît de sa coïncidence avec le changement d’allure. Aussi les questions et les réflexions des sujets ne tardent pas à mettre à jour une explication : « le vent vitesse se soustrait au vent réel au vent arrière alors que ces deux types de vent s’additionnent à l’allure du près ». Le sens se révèle bien facteur de cohérence au-delà des informations contextuelles. En effet les sujets ne se contentent pas de ces dernières et consultent leurs expériences antérieures afin de permettre la continuité du fil directeur. La souplesse de ce type de raisonnement permet d’expliquer l’élaboration de nouvelles représentations.

Il existe deux types de processus activant des représentations sémantiques : la reconstruction de représentations transitoires connues, où la représentation sémantique-cible est identifiée avant l’action par le sujet, et l’élaboration de représentations transitoires nouvelles, où la représentation sémantique cible est nécessairement construite en cours d’action. Les scripts de Schank et Abelson (1977), les scénarii de Sanford et Garrod (1982), et les représentations sémantiques cibles d’Ehrlich (1985) sont des représentations sémantiques. La réactivation de représentations transitoires connues est obtenue par une excitation globale et associative. L’activité interne du sujet est essentielle dans ce processus où une part minimale d’informations contextuelles est nécessaire. Ce fonctionnement est défini par Ehrlich (1985) comme typiquement associatif et particulièrement économique. L’action paraît ici économique et présente une fraction associée à un évènement passé. Elle ne nécessite donc pas la reconstruction intégrale d’une représentation transitoire adaptée à partir des plus petites entités de l’action, mais reconstruit une représentation sémantique cible connue et adaptable.

Si la construction de représentation sémantique n’est pas systématique, elle se révèle cependant obligatoire pour chaque nouveau concept ou représentation stockée en mémoire à long terme. La première manifestation d’un sens nouveau apparaît en mémoire de travail sous la forme d’une récente combinaison de concepts. Ces derniers sont activés simultanément soit par stimulation externe, soit par stimulation interne, soit par recherche en mémoire (Ehrlich, 1984). Le nouveau sens dépend de la manière dont sont mis en relation les concepts. Black et Bower (1980) et Ehrlich (1985) décrivent deux modalités essentielles de coordinations horizontales et verticales. L’articulation cognitive de concepts de façon horizontale correspond à une succession de séquences orientées dans le temps dans l’espace ou dans la relation cause conséquence. Ehrlich parle de « fléchage cognitif ». En voile non-voyant, un exemple pourrait être que pour se déplacer à l’allure du près il faut tout d’abord tirer au maximum sur les écoutes, ensuite pousser la barre jusqu’à entendre les voiles faseyer, et finalement tirer la barre jusqu’à ce que le bateau gîte et produise des sensations d’écoulements simultanément. Toutes ces actions sont sur le même plan : il s’agit d’une chronologie temporelle. Cet exemple de coordinations horizontales montre comment l’assemblage de différents concepts produit la représentation sémantique du lancement d’un voilier au près sans y voir. La combinaison de ces concepts connus : « tirer, cordes, barres », et organisés ensemble, génère un concept d’ordre supérieur inconnu en mémoire permanente.

« Les coordinations verticales fixent la représentation sémantique dans une organisation hiérarchisée de type catégoriel » (Ehrlich, 1985). Ainsi le « match-racing » est un concept de niveau inférieur de la catégorie « régate à la voile ». De la même manière que le « match-racing sonore » est un sous concept de la catégorie « match-racing ». Cette organisation permet principalement de réaliser des raccourcis synthétiques par substitution d’un surordonné à plusieurs subordonnés. Outre l’économie que représente cette organisation pour la mémoire de travail, elle assure une bonne conservation de la représentation sémantique à travers un système descendant de récupération de l’information.

Les coordinations horizontales et verticales, loin d’être indépendantes, sont constamment imbriquées. Ainsi « le lancement au près » décrit plus haut peut-être décrit de façon verticale et hiérarchique, tout comme la réalisation du parcours de match-racing peut également être appréhendée de façon horizontale et chronologique. La cohérence entre les coordinations verticales et horizontales se fait sur le principe de concepts dominants et secondaires. Cette hiérarchie justifie la distinction assez courante entre organisations micro et macro structurales et fonde l’idée générale des niveaux d’organisations dans la représentation sémantique.

Finalement, l’intérêt des travaux d’Ehrlich (1985) pour notre étude réside en la compréhension de la manière dont les représentations peuvent faire sens. La construction du sens est double. Elle est le résultat d’une assimilation à un contexte connue composée à partir de représentations transitoires faites de coordinations horizontales, d’expériences vécues localisées dans l’espace et le temps. Elle est également le résultat d’une catégorisation de situations déterminée par une logique d’inclusion faites de coordinations verticales qui permettent à des concepts de s’emboîter de manière logique les uns dans les autres. C’est cette articulation des deux types de significations qui permet de construire des représentations pertinentes.

L'objectif de cette recherche est donc d’étudier comment l’on peut construire ce double mode de signification chez des sujets non-voyants qui apprennent l’espace de régate sur un voilier. Les représentations utilisées doivent nécessairement respecter les relations géographiques.

II.2.d.           La représentation imagée : un support euclidien pour la construction de l’espace

Une action comme un déplacement dans l’espace est efficace si la représentation spatiale est précise. Pour ce faire, le sujet doit pouvoir mettre en relation ses perceptions ponctuelles et une représentation euclidienne c’est-à-dire organisée à partir d’invariants de l’espace. Quel codage de la représentation est-il efficace pour faciliter cette association ?

Thorndyke et Hayes-Roth (1978), Byrne, (1979) et Pailhous (1970) cités par Richard (1990) différencient la nature du codage en propositions verbales et des codes imagés « dans la mesure où ceux-ci conservent des propriétés spatiales difficilement explicables par un codage propositionnel ». Par ailleurs, Anderson (1983) s'appuie sur l'expérience de Santa (1977) pour montrer qu'« un codage graphique conserve les propriétés spatiales tandis qu'un codage verbal ne les conserve pas ». Autrement dit, l’activité cognitive de repérage spatial est facilitée par des représentations imagées. Pour Paivio (1971) les représentations mentales imagées dérivent des perceptions et leur sont strictement analogiques. Ce psychologue montre comment les stimuli les plus concrets comme les dessins sont les plus précis d’un point de vue mathématique et les mieux retenus. Santa (1977) met d’ailleurs l’accent sur l’isomorphisme entre les propriétés de la perception et celles de l’imagerie mentale.

Les cartes tactiles sont les images spatiales les plus intéressantes pour représenter un espace euclidien dont nous disposions mais elle nécessite beaucoup d’attention. « La profondeur de traitement que nécessite les cartes tactiles apporte un bénéfice en informations mais a un coût attentionnel élevé » (Hatwell, 2000). Un traitement est profond lorsqu’il sollicite la mémoire sémantique alors qu’il reste superficiel quand il se fonde sur la mémoire des formes. Le traitement superficiel sélectionne les affordances de façon automatique alors qu’un traitement plus profond exercera un contrôle sur les informations pertinentes à traiter en fonction d’un but. Ce second type de traitement permet l’évolution du but tout en adaptant la sélection des informations pertinentes.

La construction d’une représentation imagée de l’espace en mémoire à long terme est bénéfique au repérage spatial. Cependant certaines images sont traitées de façon superficielle et ne sont pas suffisamment encodées pour être le support d’une activité cognitive plus complexe que la reproduction de forme. A l’inverse, certaines représentations imagées ayant subit un traitement plus profond peuvent être utilisées comme de véritables cartes géographiques mentales : les cartes cognitives.


 

II.2.e.           Les cartes cognitives

Rieser et al. (1990) montrent qu’« une corrélation apprise entre les actions locomotrices et les changements progressifs des relations de distance et de direction entre les objets et soi-même permet de « naviguer », c’est-à-dire de trouver son chemin dans l’espace ». Les sens proprioceptifs tactiles et auditifs permettent également de construire une route, soit une séquence spatiotemporelle de segments droits et de tournants menant d’un point à un autre. Cependant une « route » consiste exclusivement en la répétition d’un enchaînement locomoteur appris et ne permet en aucun cas la création de nouveaux trajets tels que des raccourcis ou des détours supplémentaires. Ce processus automatisé ne laisse que peu de place à la compréhension et l’initiative.

A l’inverse la constitution de « cartes cognitives » est une « sorte de représentation aérienne euclidienne qui rend possible les inférences spatiales et donc les raccourcis et les nouveaux chemins » (Hatwell 2004). Notre objectif étant de permettre aux marins non-voyants d’améliorer la précision de leurs déplacements sur un parcours de voile sonore, la mise au point d’outils permettant la construction d’une carte cognitive du parcours sonore en fonction du vent participe au but de cette étude.

La construction d’une carte cognitive en tant que représentation spatiale euclidienne pertinente implique un fonctionnement complémentaire des représentations à coordinations verticales et horizontales introduite par le système [voilier ; vent ; parcours sonore]. Dans ce système, les marins non-voyants ont besoin d’outils précisant leurs représentations spatiales non visuelles. 


 

II.3.                  Représentation, espace et cécité

Paillard (1973) rappelle que « la réalité spatiale à laquelle accède un organisme dépend fondamentalement de l’équipement sensoriel dont il est doté ».

Les difficultés rencontrées par les personnes non-voyantes au cours des tâches de locomotion sont dues à leur représentation de l’espace lointain. Tout décalage entre l’interprétation du sujet de son environnement et la réalité physique du monde qui l’entoure peut entraîner l’altération ou même l’échec de l’action locomotrice. Ainsi, l’élaboration d’une concordance entre les espaces représentés et les tâches de déplacements doit se construire peu à peu.

La représentation spatiale est classiquement associée à la perception visuelle. En effet, il peut paraître difficile pour un voyant d’imaginer une représentation spatiale non visuelle. Et pourtant Bruno, aveugle tardif, explique avoir une image tactile du cadran de sa montre en relief.

Remarque : S’agit-il de représentations spatiales de même nature élaborées sur des entrées issues de modalités diversifiées ? Ou les natures mêmes des images mentales spatiales sont-elles différentes ? Devant l’ampleur de la question, nous ne débattrons pas sur les problèmes d’« amodalité », de  plurimodalité » ou même d’« unimodalité » des représentations spatiales. Nous accepterons l’idée la plus courante selon laquelle différentes modalités sensorielles participent à l’élaboration des représentations spatiales.

Une première expérience de Maier (1932) avec des rats et de la nourriture montre que les trajets entre trois points en triangle doivent être effectués dans les deux sens afin de construire efficacement l’espace. Pourtant les images rencontrées dans un sens sont sensiblement les mêmes que dans l’autre. Ainsi, les informations visuelles ne sont pas les seules à intervenir dans la construction de représentations spatiales. Il existerait donc des représentations spatiales non visuelles. Mais les représentations non visuelles de l’espace sont-elles imagées ? Présentent-elles des caractéristiques euclidiennes ?

II.3.a.          La construction de représentation spatiale imagée chez les aveugles

Les informations disponibles chez les personnes aveugles permettent-elles d’accéder à des représentations précises de l’espace lointain ?

Chez les non-voyants, la modalité tactile est la plus appropriée à l’investigation de l’espace proche. Par contre, en ce qui concerne l’espace lointain, c’est la modalité auditive qui informe le plus sur la configuration spatiale de cet espace allocentré. Si la modalité tactile présente l’inconvénient d’un fonctionnement lent et séquentiel par rapport à la vision, la modalité auditive présente l’inconvénient majeure d’occulter toutes les informations n’émettant pas de son ou un son trop faible ou non identifiable.

Il est légitime de s’interroger sur la nature des images mentales que peuvent élaborer les personnes n’ayant jamais vu. L’une d’entre elles déclare : « Cela ne sert à rien de me décrire comment est fait un voilier ; il faut que je le touche pour comprendre. » Effectivement les tentatives d’explications des points d’attache des voiles sur le bateau sont décourageantes. A l’inverse, l’exploration haptique* d’un voilier miniature conforme à la réalité s’est révélée particulièrement efficace dans la compréhension des actions des commandes disponibles sur le bateau. Cette compréhension mécanique implique une représentation spatiale précise des positions relatives du mât, des voiles et du pont.

Baddeley et Lieberman (1980) cherchent à prouver l’existence de représentations spatiales non visuelles. A travers l’étude des interférences de tâches visuelles et spatiales au cours de doubles tâches, ils arrivent à confirmer leurs prédictions. Kerr (1983) est le premier à mettre en évidence « des effets spatiaux non visuels chez des sujets aveugles de naissance ». Ici les tâches de rotations mentales effectuées par des non-voyants congénitaux sur des images tactiles présentent les mêmes résultats que ceux obtenus par des tâches de rotations mentales des voyants avec des images visuelles. Aussi « les représentations visuelles ne constituent pas un aspect essentiel de l’imagerie » (Gaonac’h et Larigauderie, 2001). Il existe donc des représentations imagées non visuelles de l’espace.

Pour Loomis et al. (1993) l’élaboration de cartes mentales et l’orientation dans l’espace sont liées à la capacité de générer et d’utiliser des images mentales et notamment chez le sujet aveugle.

Cornoldi et al. (1988) considèrent les images spatiales comme spécifiques de la modalité d’entrée. Il y a différentes images mentales tactiles et auditives. Pour ces auteurs, les aveugles précoces, comme les aveugles tardifs et les voyants, utilisent une grande variété de sources d’informations issues des différents sens. L’élaboration des représentations a lieu au sein de la mémoire de travail. Cependant, cette mémoire de travail est appelée « visuospatiale » pour les voyants. Ici la modalité visuelle semble particulièrement impliquée dans le sens où les propriétés des informations sont isomorphes aux traces visuelles. Du point de vue de Cornoldi et al. les aveugles précoces organisent différemment leurs sources d’informations. Ces derniers se basent sur une plus grande proportion d’informations d’origine tactile et auditive.

Reuchlin (1990) parle de multiplicité des informations afin d’obtenir une représentation fiable. « Le parallélisme multimodalitaire offre un cadre privilégié pour l’étude des processus vicariants puisqu’il est synonyme de redondance ». Ces redondances peuvent être abordées comme un indice de confiance. Une même information provenant de trois modalités sensorielles différentes est plus sûre que celle ne provenant que de deux. Par exemple, la localisation d’un son à 90 degrés d’un sujet peut entraîner des informations auditives, proprioceptives (muscles rotateurs du cou) et visuelles concordantes. Une personne non-voyante dispose d’une modalité en moins et obtient une information avec un indice de confiance moindre. Ici, la disparition de l’information visuelle s’associe à une baisse de précision de l’information et donc une diminution de l’efficacité de la représentation spatiale.

Cette recherche vise à augmenter l’indice de confiance des représentations spatiales des non-voyants. Une solution est de rajouter une information issue d’une stratégie non visuelle.

La perception de la localisation est plus précise selon la modalité visuelle que haptique (Hatwell, 1986). Miletic (1995) montre comment l’absence de représentation visuelle entraîne la difficulté d’utilisation d’un repère allocentré. Ainsi, lors de son expérience, il demande à des enfants voyants, déficients visuels ou aveugles de naissance de décrire verbalement et de reproduire les dispositions spatiales d’un, deux ou trois objets. Ceux-ci sont placés selon différentes orientations : 0, 45, 90, 135, 180, 225, 270 et 315 degrés. Les performances des voyants sont maximales, celles des déficients visuels sont plus basses et celles des non-voyants congénitaux sont proches de l’échec complet à part pour 0 degré. Ainsi un objectif du système de perceptions que nous mettons en place pour les aveugles consiste à leur permettre de se familiariser avec ce repère allocentré au moyen de cartes tactiles.

En conclusion, la modalité visuelle, par son traitement en parallèle de nombreuses informations semble un outil indispensable de la construction d’un espace unifié, stable, c'est-à-dire euclidien. L’analyse de l’ensemble des composantes de cette construction peut nous permettre de concevoir des outils de compensation pour associer la précision de la représentation haptique de l’espace et la stabilité relativement floue de l’espace auditif afin de construire une représentation imagée non visuelle mais euclidienne de l’espace.


 

II.3.b.          La modalité spatiale auditive dans les deux dimensions

La localisation a lieu en cours d’action. Elle consiste en l’évaluation de la direction de provenance du son et de la distance à laquelle se trouve sa source.

La direction de provenance d’un son est appelée azimut dans le plan horizontal et élévation dans le plan vertical. Les marins non-voyants définissent l’azimut des bouées suivant le cadran horaire pour se repérer sur le parcours sonore. Si le son est localisé à midi, le voilier se dirige vers la source sonore ; si le son est à trois heures, sa source se trouve à quarante cinq degrés de l’axe du déplacement du voilier. « Une onde sonore venant de côté arrivera d’abord à l’oreille proche de la source et ensuite à l’autre oreille. La différence de temps d’arrivée entre les deux oreilles est variable en fonction de l’azimut » (Mac Arthur, 1994). La perception d’un son renseigne donc à elle seule le sujet sur la direction dans laquelle est émis le son.

L’organe auditif présente-t-il des prédispositions pour l’appréhension de la distance de la source sonore ?

A priori un auditeur humain ne juge pas avec précision la distance d’une source sonore, à l’exception de cas rares où la source est très familière. Mac Arthur (1994) dénombre trois indices paraissant contribuer au jugement de la distance : « L’intensité, le rapport du signal direct au signal réverbéré et la modification du spectre due à l’absorption prédominante des fréquences élevées ». L’intensité décroît avec le carré de la distance de la source. Même si le caractère exponentiel de cet indice aide l’organisme, les variations physiques de l’environnement tel que l’élément « vent » sont susceptibles de limiter la précision quant à la détermination de la distance et de l’orientation réelles entre la source sonore et le sujet la percevant.

Cependant d’après une étude de Morrongiello et al. (1995) l’écart entre la position finale du sujet aveugle et la position de la cible est très inférieur en présence d’un indice sonore. Ce résultat montre que la modalité auditive est en mesure d’apporter des feed-back précis sur des évènements bruyants. Le son participe donc au contournement d’une bouée sonore. Cependant, la représentation spatiale construite à partir de l’indice auditif reste floue et ne permet pas la construction proactive de l’action.

II.3.c.           La modalité spatiale haptique dans les deux dimensions

La reconnaissance d’objet implique la référence à une représentation imagée. La modalité haptique consiste en l’utilisation active du toucher pour obtenir des informations de configuration spatiale et de texture sur les objets.

Biederman (1987) explique que la prise d’informations spatiales visuelles repose en premier lieu sur l’identification d’arêtes spatialement arrangées, nommées géons. « Le processus de reconnaissance de pattern consiste alors en partie à extraire les arêtes, à partir de leur disposition spatiale, combiner ces géons en un objet et comparer cet objet aux représentations en mémoire correspondant » expliquent les psychologues cognitivistes structuralistes Klatzky et Lederman (2000). Nous sommes alors en mesure de supposer q’un processus similaire régit la prise d’information spatiale haptique. Pourtant, Pick et Pick (1966) montrent que la discrimination haptique des formes est nettement moins performante que la discrimination visuelle, même s’il y a une similitude des modes de traitement de la forme dans les deux modalités.

Des travaux plus récents (Hatwell et al., 1990) montrent que le toucher est moins sensible aux lois Gestaltistes d’organisation de la configuration spatiale que la vision. Ainsi la perception haptique détecte moins les arêtes au profit des textures. Selon la même idée, une autre étude de Klatzky et Lederman (1997) démontre des difficultés de la modalité haptique à appréhender les propriétés spatiales des objets. Ces résultats limitent l’intérêt d’utiliser une carte en relief pour se repérer dans l’espace et nécessitent l’élaboration d’une stratégie faisant également intervenir des repères issus de modalités différentes ou d’une activité cognitive spécifique à l’appréhension de l’espace lointain sans le sens visuel.

La représentation spatiale paraît difficilement constructible grâce à des cartes en relief exclusivement. Cependant les configurations spatiales de celles-ci sont susceptibles de participer à l’élaboration de représentations existantes en mémoire à long terme.

Au regard de ces caractéristiques des représentations spatiales haptiques, nous devons étudier les bénéfices et les limites de l’utilisation d’une carte en relief pour l’élaboration des représentations spatiales des sujets non-voyants. En effet le processus haptique ne semble pas encoder les mêmes informations spatiales que le processus visuel ?

L’inconvénient principal du traitement spatial haptique par rapport au traitement visuel de l’espace apparaît dans son caractère séquentiel. En effet, si la vision appréhende les indices spatiaux simultanément et permet le positionnement relatif des différentes entités, la modalité haptique nécessite de toucher successivement les différentes entités. Cependant les petits objets peuvent être appréciés dans leur globalité de façon simultanée. Ballesteros et al. (1998) montrent l’effet facilitateur de l’usage des deux index à la fois pour explorer les plans dans deux dimensions de façon plus globale. De plus, des repères de symétrie peuvent apparaître lors de cette exploration bimanuelle. Or la logique de l’activité match-racing nécessite justement de se positionner sur un parcours essentiellement symétrique par rapport à l’axe du vent. Ainsi la carte en relief en tant que référentiel tactile abstrait fournit une représentation spatiale imagée intéressante. Par ailleurs, Heller (2000) constate qu’« une exploration adaptée permet aux individus d’accéder à une perception haptique précise. […] Même une forte illusion peut disparaître quand les stimuli sont assez petits pour être englobés par la main ». Les représentations spatiales haptiques conservent donc les distances et les orientations. Ainsi le traitement spatial haptique est susceptible de pallier au caractère relativement peu précis des signaux sonores en construisant un espace euclidien appréciable dans sa globalité et de façon permanente. Les travaux et recherches concernant la représentation spatiale s’accordent sur la possibilité de parcourir une image mentale de la même manière qu’un espace physique. L’étendue maritime du parcours de régate sonore peut-être découvert tactilement. Les sujets aveugles déclarent utiliser une représentation spatiale haptique grâce à la carte tactile. Finalement une carte en relief apprise permet la construction d’une représentation spatiale imagée et euclidienne en mémoire à long terme.

L’intérêt de la carte tactile est important car les sujets non-voyants depuis la naissance ou accidentellement peuvent utiliser les mêmes modalités pour la construction de représentation spatiale abstraite d’une part et parce que cet outil est propice à l’élaboration d’une carte cognitive de l’espace d’autre part. En référence aux travaux d’Hatwell (2000) sur la profondeur du traitement de l’information, le temps de présence des représentations en mémoire de travail joue un rôle dans ce processus de rétention.

Mais quelles sont concrètement les caractéristiques de l’appréhension de trajectoires en relief pour les sujets aveugles ?

II.3.d.          Utilisation de cartes en relief et stratégie d’exploration tactile.

L’efficacité des cartes tactiles dans le repérage spatial des personnes non-voyantes, soulève des questions quant à leur utilisation et donc aux stratégies d’exploration utilisées par ce public.

« Le changement d’échelle qu’implique le passage de l’espace de préhension à l’espace de locomotion fait appel à des activités cognitives parfois différentes de celles à l’œuvre dans les petits espaces » explique Hatwell (2003). Quelle technique permet-elle de relier ces deux espaces de références euclidiens ?

Les résultats des expériences sur les illusions haptiques montrent l’importance de la stratégie d’exploration. D’après Wong (1977), plus l’exploration manuelle d’une longueur est lente, plus la longueur est surestimée. Ce facteur temporel nécessite d’être pris en compte lors de l’utilisation de carte tactile pour élaborer la représentation d’un espace. Notons que la plupart des études s’accordent à dire qu’une exploration haptique relativement rapide est plus efficace qu’une exploration lente. Par ailleurs l’utilisation du plan frontal limite les illusions haptiques lors de l’exploration spatiale de lignes en relief dans les deux dimensions.

L’appréhension de la courbure de trajectoires en relief sur un plan dans les deux dimensions a été étudiée par Davidson (1972). Les résultats de son expérimentation concluent une meilleure appréhension de la qualité concave, convexe ou droite des lignes présentées lorsqu’elles sont dans le plan fronto-parallèle plutôt que dans le plan horizontal. Ainsi une carte en relief est plus utilisable par une personne privée de la vue lorsqu’elle est fixée sur un mur dans le plan vertical que lorsqu’elle se trouve sur une table dans le plan horizontal. Plus récemment, une étude de Gentaz et Hatwell (1996) arbore des résultats similaires à ceux de Davidson (1972) par le rôle des indices gravitationnels. Ainsi le tonus anti-gravitaire renseigne les sujets non-voyants sur la verticalité. Par ailleurs, Pont et al. (1998) montrent que l’estimation de la courbure d’une trajectoire relief est influencée par son orientation par rapport à la main. Aussi les lignes parallèles à l’orientation des doigts sont mieux appréhendées que celles perpendiculaires grâce à une augmentation de la surface de contact entre le doigt et la ligne. Les sujets aveugles doivent donc pouvoir faire pivoter la carte en relief ou se déplacer eux-mêmes autour d’elle.

Les questions pratiques précédemment évoquées concernant le plan dans lequel la carte est la mieux appréhendée ou encore la vitesse d’exploration optimale, s’enrichissent de l’étude de Cornoldi et Vecchi (2000). Ces auteurs établissent une distinction entre le processus passif de la mémoire de travail (encodage des informations telles qu’elles ont été présentées et maintien de celles-ci) et le processus actif (réalisation d’opérations sur les informations) de l’exploration haptique manuelle. Les personnes non-voyantes montrent des difficultés particulières dans des tâches d’imagination d’un parcours sur une matrice en deux dimensions touchée au préalable. Le processus actif souffre donc de l’absence de la composante visuelle. Pourtant les auteurs mettent l’accent sur les bons résultats des expériences menées sur les processus passifs. En effet les sujets aveugles reconnaissent aussi bien des configurations de points mémorisés de façon haptique que ne le font les voyants avec la vision. En conclusion, l’utilisation de la composante spatiale des images mentales haptiques est accessible aux personnes privées de la vue lors de la mise en jeu de processus passifs.

Dans le cadre d’une volonté d’enseignement du repérage spatial et de la construction d’une trajectoire en cours d’action, soit d’une carte cognitive, l’utilisation du processus actif est requise. Cette conclusion nous incite à mettre au point une stratégie permettant d’activer un processus actif efficace au cours de l’utilisation de représentation spatiale haptique. En référence aux travaux d’Ehrlich (1985), il s’agit ici d’enrichir la représentation tactile euclidienne à coordinations verticales avec des représentations spatiales à coordinations horizontales dans une tâche aussi précisément définie que celle du repérage au cours de l’activité de match-racing sonore.

La plupart des représentations imagées étudiées, ne sont pas récupérées en mémoire à long terme mais reconstruites pour les besoins de la tâche explique Richard (1990). Ainsi, les travaux de Bisseret (1970) ont mis en évidence une « mémoire opérationnelle » contenant les informations utiles à la réalisation de la tâche. L'utilisation de cartes tactiles pour préciser la représentation de l'espace est utile puisque les images ainsi mises en jeu sont actualisées grâce à la mémoire opérationnelle. De plus, Ochanine (1981) met en évidence l'utilisation d'image mentale dont certains aspects sont déformés en fonction de leur importance relative à une tâche récurrente. L’« image opérative », reprise de la théorie de Piaget, est un mélange de traits empruntés à la réalité physique et aux schématisations qui représentent les savoirs opératoires. Ainsi certains codes imagés telles que des cartes utilisées régulièrement sont stockés en mémoire à long terme et utilisables d’une part à travers les modalités de la réalité physique de l’environnement de l’individu, et d’autre part de la schématisation mentale qu’il a réalisée.

Le couplage d’informations tactiles et sonores pour la création de représentations imagées spatiales stockées en mémoire à long terme reste envisageable. Cependant, nous souhaitons nous détacher de la conception selon laquelle la résolution d'une tâche consisterait à récupérer les solutions « toutes faites » en mémoire à long terme. En effet, la représentation utilisée est le produit de la fusion des images de la mémoire à long terme et de la mémoire opérationnelle. Ainsi, les apprentissages et les expériences antérieures sont autant utilisés que les stimuli en présence pour améliorer les performances où la résolution du problème a bien lieu pendant l'action.

Le toucher de carte en relief représentant le parcours sonore, et la mémorisation du temps de parcours (ou du bord bâbord de cadre de course) ne doivent pas empêcher les marins non-voyants de prendre en compte le contexte (vent, autre voilier…) au cours de l’action locomotrice maritime.


 

II.3.e.           Les limites non négligeables de la précision des cartes en relief

Les distances sont mal appréciées à travers la simple sensation auditive créée par l’émission de la source sonore. La mise en oeuvre de cartes en relief comporte également les biais des « effet de détours » et « vitesse d’exploration ».

Suite à des expériences sur les « effets de détours », il apparaît une difficulté importante des personnes non-voyantes, et particulièrement des aveugles de naissance, à estimer précisément une distance euclidienne parcourue (Lederman et al. 1985).

Le toucher présente cette spécificité d’être soumis au problème de surestimation de la distance touchée en fonction des sinuosités du parcours. Or au sein d’une activité voile où le louvoyage* entraîne un grand nombre de détours, les sujets non-voyants sont particulièrement concernés par ce problème.

Par ailleurs,  Lederman et al. (1987) soulèvent une autre difficulté liée au paramètre de la vitesse d’exploration : les estimations varient en fonction de la vitesse à laquelle le relief est touché. Plus le suivi du trajet est réalisé lentement, plus la longueur de la trajectoire est surestimée.

A la vue de ces biais, l’utilisation d’une carte tactile comme support pour les repères spatiaux des aveugles implique une certaine prudence. Pourtant, à travers des expériences avec le système « Optacon/TVSS » qui transforme les ondes lumineuses en vibrations, Milétic (1994) avance que ce n’est pas parce que le toucher ne fournit pas suffisamment d’informations sur l’environnement que les aveugles manquent de capacités cognitives spatiales, mais parce que l’activité tactile n’est pas toujours orientée vers les informations pertinentes.

Ce constat rend légitime l’interrogation de cette étude sur la nature des informations permettant aux aveugles d’utiliser leurs compétences spatiales au moyen de cartes en relief notamment.


 

II.4.                  Cécité, voile et déplacement

Le parcours de régate balisé avec des bouées sonores permet aux aveugles de percevoir leur déplacement dans un espace lointain grâce à leur propre équipement perceptif. Aussi les repères inhérents à la marche du voilier, gîte* et écoulements principalement offrent des informations sur la vitesse du voilier et son orientation par rapport à la direction de l’élément « vent », alors que le balisage sonore et l’orientation du vent constituent les invariants de l’espace lointain. La prise en compte de l’espace propre au voilier, soit l’espace proche du sujet, nécessite d’être conscient de l’espace qu’occupe son propre corps à bord. Ensuite, le parcours constitué par les bouées sonores, ici l’espace lointain, ne pourra être appréhendé que si la taille du voilier, son mode de déplacement et les commandes qu’il propose sont intériorisés. Le pré requis à l’appréhension et la réussite d’un parcours en voile est l’appropriation de l’embarcation comme le prolongement de son corps.

La pratique montre que cette intériorisation est difficile et que la représentation du positionnement du voilier sur le parcours est souvent peu précise. En effet, « la perception d’une image visuelle en mouvement, induite par le mouvement même du sujet et non par le déplacement du monde extérieur, joue un rôle fondamental dans la connaissance de l’espace » affirment Pailhous et Thinus-Blanc (1994). Pourtant les sujets non-voyants ne disposent pas d’image visuelle en mouvement. Par quel processus les individus aveugles acquièrent-ils des connaissances spatiales au cours des déplacements en voile ? Dans quelle mesure ces déplacements participent-ils à la construction de leurs représentations spatiales de leur position sur le parcours sonore ? Comment le lien entre la carte tactile et l’espace de déplacement peut-il être réalisé ? Quelle stratégie pourrait-elle permettre d’actualiser les déplacements concrets du voilier dans l’espace sur le référentiel tactile abstrait que constitue la carte en relief.

II.4.a.          L’utilisation de la carte tactile match-racing sonore

Au cours d’une activité de match-racing sonore, les bouées et l’élément « vent » sont les seuls invariants susceptibles de fournir des affordances constituants des repères géographiques perceptifs sur l’eau.

La carte tactile (annexe 5) sur laquelle est située la position des bouées sonores du parcours et l’orientation du vent est une proposition d’outil de catégorisation du déplacement sur le parcours par une logique d’inclusion faites de coordinations verticales en relation avec un espace euclidien. En effet, ces représentations graphiques en relief sont supports de concepts universels, le parcours est dans l’axe du vent, la même distance doit être effectuée en bâbord et tribord amure*… ; et catégorisés, la remontée au vent inclut des trajectoires parallèles aux lignes de la carte dont les longueurs peuvent être fractionnées, la descente sous le vent est en route directe plus courte fractionnée également…

La considération des séquences successives impliquant le comportement du bateau, le repérage par rapport à l’orientation de l’élément « vent », l’évaluation du temps de déplacement, et la perception des bouées sonores doivent constituer les affordances permettant les coordinations horizontales, soit le suivi cognitif de l’action en cours.

Finalement, les allers et retours entre la carte orientée par rapport à l’élément « vent » sur laquelle est indiqué l’emplacement des bouées sonores et les perceptions sur l’eau suffisent-ils à la construction de représentations spatiales précises, efficaces pour l’action ? Une technique d’exploration est-elle requise ?


 

II.4.b.           La technique du repère de temps à vitesse constante

Lors d’un déplacement actif, le nombre de pas peut constituer un repère de distance fiable. Cependant les spécificités de l’activité voile ne permettent pas d’utiliser ce repère.

S’il n’existe pas d’unité de distance appréciable sans la vue en voile, il y a nécessité d’y substituer d’autres repères. La formule physique selon laquelle la distance est égale à la vitesse multipliée par le temps convient tout particulièrement. L’absence de « pas » à la barre d’un voilier peut-être compensée par des vitesses relativement constantes. Ainsi une personne aveugle conduisant un voilier au près* sur un parcours de match-racing sonore (figure 1) peut réaliser quelques parcours d’évaluation et en déduire, par une logique « d’essai erreur », que la remontée au vent* compte 260 secondes, à l’aide d’une montre parlante, au près tribord amure, et un temps relativement identique en bâbord amure. De cette manière il est possible de faire correspondre une fraction du bord de cadre de course* de la carte en relief, soit une représentation abstraite tactile, avec un temps réel (figure 2).

Prenons l’exemple d’un bord de cadre de 260 secondes divisé en cinq conformément à la carte tactile. Un bord de cadre comprend cinq côtés de carreau. Le côté du carreau représente donc 52 secondes. Ainsi le chronométrage d’une unité de temps lors du passage de la ligne permet à un équipier non-voyant chargé de suivre l’évolution du voilier sur le parcours par rapport à son temps de référence. Si, comme indiqué sur le schéma suivant, 180 secondes ont été courues sur chaque bord, le sujet sait qu’il se trouve sur l’axe central du parcours. Il peut ensuite en déduire que 80 secondes sur chaque bord lui seront encore nécessaires pour atteindre la bouée au vent.


Figure 2

Carte « en noir » schématisant le cadre de course en match-racing sonore

 

Remarque :

Les lignes sont les parallèles aux caps qu’un voilier peut réaliser à l’allure du près*. Elles font également office d’échelle de distances.

Notre étude ne portant pas sur le départ nous utilisons des cartes en relief simplifiées où ne figure pas le bateau comité (ici le triangle). (annexe 5)


 

II.4.c.           Le rôle de l’élément « vent » dans l’appréhension de la direction

Le vent est un élément variable dans le temps à la fois en intensité et en direction. Un parcours de match-racing sonore comprend deux remontées au vent (4 x 260 secondes par exemple) et deux descentes sous le vent (2 x 180 secondes par exemple). Pendant 1400 secondes environ, soit 23 minutes et 20 secondes, c’est-à-dire un laps de temps court, cet élément « vent » peut être alors considéré comme relativement stable en direction lorsque les conditions météorologiques sont propices à cette activité.

La stabilité relative de la direction de l’élément « vent » implique la stabilité de la direction du voilier pour un réglage fixe. Les marins non-voyants savent qu’ils remontent environ à quarante degrés du vent. Ainsi le repère fixe de la bouée sonore associé à la stabilité relative de la direction du voilier fournit des informations importantes sur la direction du déplacement.

L’intensité de l’élément « vent » peut également être considérée comme relativement stable sur un laps de temps aussi court

II.4.d.           La construction de la carte cognitive du parcours sonore en voile

Cette technique propose deux « routes » particulièrement simples : tribord amure pendant 260 secondes, puis bâbord amure pendant 260 autres avant d’arriver à la bouée au vent. Cette première solution consiste à faire le tour de ce parcours dans l’axe du vent en longeant le bord le plus à gauche en permanence. L’autre option consiste à longer le bord le plus à droite du parcours en naviguant au près bâbord amure pendant 260 secondes dans un premier temps et tribord amure pendant 260 secondes dans un second temps. Ces deux routes vont du point bouée sous le vent (BSV) au point bouée au vent (BAV) en passant par le point le plus à droite ou le point le plus à gauche. La compréhension du résultat identique de ces deux routes par le sujet témoigne de l’intégration d’inférence spatiale, c’est-à-dire de la capacité du sujet à créer de nouveaux chemins à partir de l’apprentissage antérieur de routes. Ceci constitue le support de la création d’une représentation euclidienne de l’espace et l’activité cognitive qui en suit est susceptible de produire une carte cognitive du cadre de course.

Cette technique nécessite l’intériorisation d’un savoir opératoire : « se déplacer à la bouée au vent en voilier implique l’accomplissement de deux bords de près à vitesse constante d’une durée égale ». Ce savoir opératoire est imbriqué dans le savoir universel suivant « la distance est égale à la vitesse multipliée par le temps ». Ces concepts à coordinations verticales sont le support de la construction de la représentation imagée de la carte cognitive.

II.4.e.          Les applications pratiques se multiplient avec l’expertise

Beaucoup de schémas peuvent être travaillés selon cette stratégie : naviguer plutôt à droite, à gauche, rester centré, tenter le bord de cadre… Bien d’autres tactiques peuvent encore être élaborées lorsqu’elles concernent la position relative à l’autre voilier.

Par ailleurs, l’entraînement et l’expertise peuvent aboutir à la prise en compte d’un grand nombre de paramètres comme le temps nécessaire pour réaliser un virement, c’est-à-dire pour changer de direction, l’accélération procurée par une risée de vent, le ralentissement occasionné par le devant de l’autre embarcation ou encore les rotations de vent annoncées par synthèse vocale.

Sur le plan pratique, cette technique, encore expérimentale, s’améliore à chaque entraînement et se rapproche particulièrement du concept de carte cognitive.


 

II.5.                  Problématique et Hypothèse générale

Le but de cette recherche est d’étudier les rôles respectifs des sensations liées à l’action (sensations de glisse et audition des bouées en présence de l’élément « vent ») d’une part et des outils (carte tactile et repère de temps à vitesse constante) liés à la construction de représentations permanentes à coordinations verticales de l’espace euclidien et du temps mathématisé d’autre part dans l’activation d’une représentation spatiale circonstancielle d’un parcours de match racing sonore pour les sujets non-voyants.

Comment les représentations permanentes à coordinations verticales structurent-elles la représentation ?

Comment les informations liées à l'action actualisent-elles les représentations permanentes abstraites ?

Le travail théorique précédent nous amène à formuler l’hypothèse générale suivante :

« Au cours d’une tâche de locomotion maritime à la voile sur un parcours balisé sonore dans l’axe du vent, la coordination des informations de directions fournies par les sensations du voilier par rapport à l’élément vent, des informations de distances fournies par une unité de temps correspondant à une fraction d’une durée de référence et des informations tactiles d’une carte du parcours, permet à des sujets en situation de cécité d’élaborer une carte cognitive de cet espace. Ces repères permettent la construction proactive de l’action spatiale alors que la localisation d’objets sonores constitue son contrôle rétroactif ».

 


 

III.              Expérimentation exploratoire

La méthode d’expérimentation mise en œuvre est exploratoire. De façon à anticiper sur les difficultés pouvant être rencontrées au cours des phases de déroulement, de recueil de données ou encore d’interprétation des résultats inhérents au sujet du repérage spatial en situation de cécité, les expériences menées apparaissent nombreuses et variées. Par conséquent, il eut été particulièrement lourd et difficile de réaliser les cinq cas d’étude suivants avec un nombre significatif de sujets. La cinquième expérience consiste en l’étude du cas d’un sujet aveugle tardif.

Les expériences sont menées avec quatre sujets atteints de cécité. Deux sont non-voyants depuis la naissance, deux autres ont perdu la vue à l’âge adulte. Pour chacun de ces handicaps, les individus sont des adultes du sexe opposé.

Par ailleurs deux personnes voyantes, adultes homme et femme, privées de la vue au moyen d’un bandeau, participent également aux expériences suivantes.

Nous considérons que tous ces sujets pratiquent la voile sportive à des niveaux relativement proches ; ainsi aucun ne pratique en compétition mais chacun navigue une fois par semaine en moyenne. Par ailleurs ces personnes ne connaissent pas de troubles associés, ni auditifs, ni mentaux.

Au cours de cette partie nous nous limiterons à valider ou réfuter cinq sous hypothèses décrites au fur et à mesure de l’expérimentation. Les résultats des sous hypothèses nous permettrons d’affirmer ou non l’hypothèse générale précédemment énoncée.

Les différentes séquences de cette expérience visent à valider l’efficacité d’un « ensemble d’outils spatiaux de navigation » pour les déficients visuels en match-racing sonore. Les bouées sonores, la montre vocale et la carte en relief de l’espace vent du cadre de course* sont utilisées de façon isolée puis simultanément.

La validation de ces outils s’accorde avec la confirmation de la cinquième sous hypothèse selon laquelle : « Dans une tâche de représentation de parcours de match-racing balisés sonores indirects avec plusieurs virements de bord*, les sujets atteints de cécité disposant de repères temporels à vitesse constante et d’une carte tactile fondée sur l’élément « vent » présentent de meilleures performances.»

Remarque : Les comparaisons des valeurs des résultats seront écrites en chiffres dans un souci de lisibilité.

III.1.                Expérience sur « l’élément vent » comme repère d’orientation

Première sous hypothèse : « Dans une tâche de locomotion la présence de l’élément « vent » fournit un repère d’orientation aux sujets atteint de cécité ».

Expérience 1 (EXP 1)

Variable Indépendante (VI) : Naviguer selon une trajectoire rectiligne pendant trois minutes en l’absence de « l’élément vent » au moteur, puis en présence de l’élément « vent » au moteur puis à la voile

Variable Dépendante (VD): Ecarts entre le cap initial et les caps réalisés toutes les 30 secondes

III.1.a.       Protocole 1

Les sujets barrent le voilier dans le but de réaliser une trajectoire rectiligne. Pendant trente secondes, l’expérimentateur et les sujets barrent simultanément afin de déterminer une route droite (un point est visé sur la terre). L’expérimentateur lâche ensuite la barre et chronomètre trois minutes pendant que les sujets ont pour consigne de garder le cap.

Expérience 1.1

Les sujets conduisent tout d’abord au moteur en l’absence de l’élément « vent » (inférieur à huit nœuds) pendant trois minutes.


 

Expérience 1.2

Ils barrent ensuite en présence de l’élément « vent » (compris entre huit et quinze nœuds) toujours propulsés au moteur.

Expérience 1.3

Finalement les sujets dirigent le voilier « sous voiles » en présence de l’élément « vent ». Les voiles sont réglées au près* pendant les trois minutes dans une zone de courant minimum.

Chacune de ces expériences est réalisée trois fois avec chaque sujet.

Afin d’éviter les non-sens, aucune expérience ne sera réalisée à la voile en l’absence de l’élément « vent ». En effet dans ces conditions nous considérons les possibilités de réussite de la tâche pour les sujets comme nulles.

III.1.b.       Recueil de données

Les trajectoires « au moteur » et « sous voiles » sont enregistrées au moyen d’un G.P.S*. La trace de la trajectoire des trente premières secondes est prolongée à la règle (annexe 1). Les caps du voilier sont relevés toutes les trente secondes et comparés au cap initial. Le logiciel G.P.S.U 4.02. et le G.P.S. Magellan Méridian rapporte un point tous les dix huit mètres avec des informations de temps.

Cependant le cap G.P.S., c’est-à-dire par satellite, ne tient pas compte du courant. Seules trois trajectoires G.P.S. sont imprimées : une sans vent, une avec vent au moteur et une à la voile. Ces traces constituent des représentations graphiques et tactiles favorisant la compréhension de l’expérience.

Les relevés utilisés sont ceux du « compas »* du voilier indiquant le cap sur la surface indépendamment du courant. Pour des raisons de faisabilité, les valeurs des caps sont arrondies aux cinq degrés près.


 

III.1.c.        Résultats de l’expérience 1

Tableau 1

Tableau récapitulatif des moyennes des écarts entre les cap initiaux et réalisés au moteur en l’absence de l’élément « vent » puis en présence de cet élément et finalement à la voile. (Relevé détaillé en annexe 1)

 

Sans vent

Avec vent

Au moteur

A la voile

Moyennes des écarts de cap en degrés

103

29

8

Lorsque les sujets barrent un voilier au moteur et en absence d’élément « vent » (inférieur à huit nœuds*) ils naviguent avec un écart de cap moyen de 103 degrés (tableau 1) par rapport à la trajectoire rectiligne demandée. Soit avec plus d’un quart de tour d’erreur ! Par contre, sous voiles et avec un vent supérieur à huit nœuds, l’écart de cap moyen de ces mêmes sujets est ramené à 8 degrés. (tableau 1). L’application du test du T de Student apparié révèle une différence très significative à 99%(t= 4,379  pour 4,032 à 99%) entre les écarts de cap des conduites « au moteur sans vent » et « sous voile avec du vent ».

Cependant les résultats précédents introduisent deux variables : la présence ou non de l’élément « vent » et la navigation « au moteur » ou « à la voile ». La comparaison des écarts de caps tenus « au moteur » avec et sans élément « vent » permet d’apprécier le rôle effectif de cet élément. Ainsi, « au moteur et en présence de vent » l’ensemble des six sujets réalise une moyenne de 29 degrés (tableau 1). Ce résultat est significativement différent (t=3,36 pour 2,571 à 95%) de ceux « au moteur sans présence de vent ».

Finalement les résultats de la première expérience permettent de valider la première sous hypothèse selon laquelle « dans une tâche de locomotion la présence de l’élément « vent » fournit un repère d’orientation aux sujets atteint de cécité ».


 

III.2.                Expérience de localisation d’un son en distance et orientation

Seconde sous hypothèse: En situation de cécité, le nombre d’objets sonores dont les évaluations des positions relatives en distance et en orientation sont correctes est diminué par la présence de l’élément « vent ».

EXP 2 :

VI : situation ventée ou non

VD : nombre d’objets sonores localisés correctement en direction.

III.2.a.       Protocole 2

Au cours de cette expérience le sujet se trouve sur une plage. Trois cercles sont tracés sur le sol et ont le même centre. Le rayon du premier (A) est d’un mètre, celui du second (B) de deux mètres et le troisième (C) de trois mètres. Chacun de ces cercles est gradué de un à douze conformément au cadran d’une horloge. Le sujet est au centre des trois cercles, face au vent (le vent arrive à midi) dans la situation ventée (figure 3).

La pose d’un talky-walky permet d’émettre un son d’une intensité de quarante décibels et d’une une fréquence 400 hertz constante à différentes distances, cercles A, B ou C, et à différents horaires. Ainsi un talky-walky posé en 2B correspond à un son émis à un mètre cinquante du sujet avec un angle de quatre vingt dix degrés conformément à la figure 3.


Figure 3

Vent

 
Représentation graphique du cadran d’horloge tracé dans le sable pour le repérage d’objets sonores en distance et en orientation

 

1 m

 

 2 m ;

 

3 mètres

 

Talky-walky émettant un

 

 

Les six sujets sont soumis à quarante sons en situation non ventée et quarante autres au cours d’une autre séance ventée. Dans les deux situations les émetteurs sont posés aux mêmes endroits mais suivant un ordre différent.

Les voyants ont les yeux bandés avant d’arriver sur la plage afin d’éviter toute représentation imagée visuelle utilisable.


 

Les consignes données aux sujets sont les suivantes: « Il y a trois cercles autour de vous : un petit cercle A d’un mètre de rayon, un moyen cercle B de deux mètres de rayon et un grand cercle C de trois mètres de rayon. Chacun de ces trois cercles est gradué douze fois conformément au cadran d’une horloge. Vous êtes face à midi. Ainsi le son 3B se trouve au sol à quatre vingt dix degrés sur votre droite et à deux mètres de distance. Quarante sons vont vous être proposés. Chacun d’entre eux pourra être répété trois fois au maximum. Vous devez les localiser selon la nomenclature précédemment explicitée. A chaque réponse vous bénéficierez de la connaissance de la réponse exacte».

III.2.b.       Recueil de données

Les données sont recueillies dans des tableaux du type suivant. Lors de la seconde expérimentation, en situation ventée, l’ordre des sons est inversé.

Une réponse est correcte en distance si la lettre annoncée par le sujet est exacte. L’orientation est juste si le chiffre de la réponse du sujet est exact.


 

III.2.c.        Résultats de l’expérience 2

Le détail des réponses des sujets est joint en annexe 2.

Tableau 2

Tableau récapitulatif des localisations des sons en distance et en orientation et des réponses des sujets non-voyants

 

Orientations

Distances

Sans vent

vent

Sans vent

vent

Sujet 1

32

26

21

13

Sujet 2

36

25

19

17

Sujet 3

29

24

18

14

Sujet 4

27

19

20

11

Sujet 5

23

9

22

8

Sujet 6

18

9

15

13

Ecart-types

6,41

7,87

2,48

3,01

Moyennes

27,5

18,6

19,2

12,7

Proportions

69%

46%

48%

32%

Les résultats de cette expérience pour l’ensemble des sujets montrent que l’orientation d’un objet sonore est localisé correctement à 69% lors de l’absence de l’élément « vent » alors qu’il ne l’est qu’à 46% en présence de cet élément (tableau 2). L’application du test du T de Student apparié révèle une différence significative à 99% (t=6,534 pour 4,032). Les résultats de cette expérience permettent donc de dire que l’élément « vent » perturbe de façon très significative la localisation en orientation des objets sonores pour les personnes privées de la vue.

La chute des performances en situation non ventée et en présence de l’élément « vent » est relativement uniforme, soit une diminution du nombre de bonnes réponses comprises entre 8 et 14 points pour l’ensemble des sujets. Nous ne pouvons donc pas dire que l’élément « vent » perturbe plus les sujets non-voyants congénitaux, non-voyants tardifs ou voyants avec les yeux bandés pour localiser un objet sonore en orientation.

Par ailleurs les résultats de cette expérience pour l’ensemble des sujets montrent que la distance d’un objet sonore est évaluée correctement à 48% en situation non ventée alors que ce chiffre tombe à 32% en présence de l’élément « vent » (tableau 2). La différence entre ces deux résultats est significative à 95% (t=3,372 pour 2,571 à 95%). Les résultats de cette expérience permettent donc de dire que l’élément « vent » perturbe de façon significative la localisation en distance des objets sonores pour les personnes privées de la vue.

En conclusion les résultats de l’expérience 2 permettent de valider la seconde sous hypothèse selon laquelle : « En situation de cécité, le nombre d’objets sonores dont les évaluations des positions relatives en distance et en orientation sont correctes est diminué par la présence de l’élément « vent ». »

Bien que l’hypothèse que cherche à vérifier cette expérience n’étaye pas directement l’hypothèse principale, sa mise en place est un pré requis témoignant du cheminement scientifique de cette étude. La confirmation de l’action de perturbation du vent sur la localisation sonore justifie l’engagement dans un travail avec des cartes en relief et un repère de temps à vitesse constante.


 

III.3.                Expérience sur les directions des trajectoires avec des repères sonores ou tactiles.

Troisième sous hypothèse : Dans une tâche de locomotion en situation de cécité en présence de l’élément « vent », les informations fournies par le toucher d’une carte tactile entraînent la construction d’une représentation spatiale imagée permanente améliorant la direction de la trajectoire initiale alors que les signaux auditifs émis par un objet sonore permanent permettent l’actualisation d’une représentation circonstancielle offrant un meilleur contrôle de la direction de la trajectoire finale.

EXP3 :

VI : objet sonore permanent ou toucher d’une carte tactile ou les deux.

VD : comparaison des écarts en mètres entre les trajectoires réalisées par les sujets et la route directe.

III.3.a.       Protocole 3

Sur une plage, en situation ventée, les sujets se trouvent face au vent. Un objet est successivement situé aux différents horaires d’une horloge imaginaire de quarante mètres de rayon. Le sujet doit atteindre cet objet dans les trois situations suivantes en présence de l’élément « vent ».

Expérience 3.1

Chaque sujet a pour consigne de marcher seul jusqu’à la balise sonore. Il effectue cette tâche trois fois de suite. A chaque essai, la balise sonore est déplacée sur le cadran de l’horloge tracée sur le sable. L’objet se trouve toujours à la même distance.

Expérience 3.2

Dans une seconde situation, chaque sujet peut toucher la carte en relief représentant une horloge simple pour savoir, grâce au positionnement d’une gomme fixe*, dans quelle direction se trouve la bouée inaudible. Ils partent ensuite à sa recherche à pieds trois fois de suite.


 

Expérience 3.3

Au cours d’une troisième situation le sujet entend le signal sonore de la balise et touche une carte tactile représentant sa position trois fois de suite.

III.3.b.       Recueil des données

Les données exploitées concernent les écarts de trajectoire en mètres par rapport à la route directe. Les données G.P.S. n’étant pas assez précises, l’écart est mesuré à la précision du mètre près tous les deux mètres à l’aide d’un quadruple décamètres en utilisant les traces de pas laissées par le sujet dans le sable. Les obligations d’aplanir le sable et de ne positionner le quadruple décamètres qu’après le passage du sujet rendent cette expérience longue et fastidieuse.

Les données recueillies sont classées selon trois catégories :

- le « début » concerne les dix premiers mètres de la trajectoire.

- la « fin » correspond aux dix derniers mètres de la trajectoire.

- l’« arrivée » est située à l’emplacement où le sujet s’arrête.

III.3.c.        Résultats de l’expérience 3

Les résultats présentés ici sont les moyennes des écarts exprimées en mètres relevés pour chacun des six sujets pour les trois essais des phases de « début », « fin » et « arrivée » de trajectoire.


 

Tableau 3

Tableau de synthèse des résultats de l’expérience 3

trajectoire

Balisage sonore

Carte en relief

Les Deux

début

fin

arrivée

début

fin

arrivée

début

fin

arrivée

Sujet 1

3

0

0

2

5

7

1

0

0

Sujet 2

2

1

0

1

10

13

0

1

0

Sujet 3

2

1

0

1

12

16

0

0

0

Sujet 4

2

1

0

0

4

7

0

0

0

Sujet 5

4

0

0

1

11

12

1

1

0

Sujet 6

2

1

0

2

15

19

1

0

0

Moyenne

2,5

0,67

0,00

1,17

9,50

12,33

0,50

0,33

0,00

Sur le début de la trajectoire, c’est-à-dire les dix premiers mètres, les sujets ne disposant que de l’information sonore de la balise effectuent des trajectoires distantes de 2,5 mètres en moyenne de la route directe. Quand ils ne disposent que de la carte en relief, cet écart est ramené à une moyenne de 1,17 mètre (tableau 3). Ces résultats (t de 3,162 pour 4,032 à 99% et 2,571 à 95%) témoignent d’une différence significative à 95%. En présence de l’élément « vent » les sujets privés de la vue réalisent donc des trajectoires initiales significativement meilleures quand ils utilisent une carte en relief, c’est-à-dire lorsqu’ils disposent d’une représentation permanente, que lorsqu’ils disposent d’un point sonore.

A propos de la fin des trajectoires, c’est-à-dire les dix derniers mètres, les sujets ne disposant que de l’information sonore de la balise effectuent des trajectoires finales distantes de 0,67 mètre en moyenne. Quand ils utilisent uniquement la carte en relief, cet écart s’élève à 9,5 mètres en moyenne (tableau 3). Ces résultats (t=5,252 pour 4,032 à 99%) témoignent d’une différence très significative à 99%. Ainsi, en présence de l’élément « vent », les sujets de cette expérience réalisent des trajectoires finales très significativement meilleures quand ils disposent d’un point sonore, c’est-à-dire d’une représentation transitoire en mémoire de travail, que lorsqu’ils utilisent une carte en relief.

Sur le début de la trajectoire, six sujets de cette étude réalisent une trajectoire distante en moyenne à 0,5 mètre de la route directe lorsqu’ils disposent d’informations sonores et tactiles contre 1,17 mètre d’écart en moyenne lorsqu’ils ne disposent que des informations issues de la carte en relief (tableau 3). La différence est significative (t=3,162 pour 4,032 à 99% et 2,571 à 95%) à plus de 95%. Cette constatation montre, d’une part, que le signal sonore ne parasite pas l‘information tactile ; et, d’autre part, que la meilleure trajectoire initiale est obtenue en couplant les informations tactiles et sonores. Aussi la représentation permanente fournie par les informations tactiles n’est pas la seule à participer à la réalisation d’une trajectoire initiale la plus directe possible pour les sujets privés de la vue lors de cette expérience.

Nous remarquons cependant que les résultats où les sujets disposent à la fois de la carte et du son peuvent être influencés par l’apprentissage. En effet, il s’agit du troisième exercice.

En ce qui concerne la trajectoire finale, les sujets de cette expérience réalisent une moyenne de 0,33 mètre d’écart avec la route directe lorsqu’ils disposent à la fois des informations tactiles et sonores ; et de 0,67 mètre lorsqu’ils ne disposent que des informations sonores (tableau 3). Cette différence n’est pas significative (t=1 pour 2,571 à 95%). Ainsi la représentation spatiale imagée permanente de la configuration de l’espace que procure la carte en relief n’est d’aucune utilité aux sujets de cette expérience pour la réalisation de la trajectoire finale la plus directe possible.

Lorsque le point d’arrivée émet un son, tous les sujets touchent ce point ; lorsqu’ils ne disposent que d’informations sur la carte en relief et de la distance, les sujets se rapprochant le plus de la balise inaudible sont à 7 mètres de distance (tableau 3). Dans ces conditions, la différence est hautement significative (t=6,290 pour 4,032 à 99%) à plus de 99%. Ainsi, pour les sujets de cette expérience privés de la vue, l’atteinte d’un point de l’espace à la suite d’un déplacement de quarante mètres n’est possible que dans la condition où ce point est sonore, c’est-à-dire lorsqu’une représentation circonstancielle actualise la représentation permanente. Ici la carte en relief n’est que d’une faible utilité.

Finalement, les résultats de cette expérience valident la troisième sous hypothèse selon laquelle « dans une tâche de locomotion en situation de cécité en présence de l’élément « vent », les informations fournies par le toucher d’une carte tactile entraînent la construction d’une représentation spatiale imagée améliorant la direction de la trajectoire initiale alors que les signaux auditifs émis par un objet sonore permanent permettent l’actualisation d’une représentation offrant un meilleur contrôle de la direction de la trajectoire finale.» Par ailleurs les signaux auditifs sont la condition sine qua non à l’atteinte du point d’arrivée.


III.4.                Expérience sur l’unité de distance

Quatrième sous hypothèse : Dans une tâche de locomotion, l’unité de « temps à vitesse constante », correspondant à une fraction d’une durée de référence, constitue des repères de distances pour les sujets atteints de cécité.

EXP 4 :

VI : réalisation d’une trajectoire indirecte (40° de la route directe) avec un seul changement de direction

VD : nombre d’essais avant de réussir à atteindre le point d’arrivée « sans unité » et avec une « unité de temps pendant un déplacement à vitesse constante ».

III.4.a.       Protocole 4

Pour chaque expérience chacun des six sujets réalise trois essais.

Expérience 4.1 : « Sans unité »

La réalisation d’une trajectoire indirecte « sans unité » a lieu sur l’eau. Les sujets sont à bord d’un voilier sur un parcours sonore dans l’axe du vent. Deux balises sonores sont situées au vent* et sous le vent*. Le barreur et le réglage des voiles sont fixes.

Expérience 4.2 : « avec une unité de temps à vitesse constante »

La trajectoire indirecte « avec une unité de temps à vitesse constante » est réalisée sur l’eau à bord d’un voilier. Les sujets disposent d’une montre vocale. Le même barreur conduit le voilier pour chacune des expériences pour chacun des six sujets.

Pour ces deux expériences les consignes données aux sujets sont les suivantes :

« Le but de l’expérience consiste à atteindre le point sonore au vent. Nos directions de déplacement sont à quarante degrés de la route directe d’un coté ou de l’autre. Il n’est possible de changer de direction qu’une seule fois. Votre tâche consiste à déterminer le moment où nous devons changer de direction pour atteindre le point au vent. Pour chaque essai la distance séparant le point au vent du point d’arrivée sur l’axe du parcours sera annoncée en mètres »

Le départ à lieu au point sonore sous le vent dans les conditions d’un vent régulier compris entre huit et quinze noeuds.

Pour l’expérience 4.2 avec « unité de temps à vitesse constante », il est suggéré au sujet de compter le nombre de secondes écoulées avant de changer de direction.

III.4.b.       Recueil des données

Les valeurs recueillies concernent la distance qui sépare le sujet ou le voilier du point sonore au vent lors du retour sur l’axe du parcours.

Les mesures sont effectuées grâce à la fonction « GO TO » du G.P.S. avec le matériel décrit précédemment. En effet la distance restant à parcourir pour arriver au point de route est détaillée au mètre près.

Les trajectoires des sujets sont enregistrées au moyen d’un G.P.S. comptant un point tous les dix-huit mètres avec une précision de plus ou moins un mètre sur les positionnements relatifs.

III.4.c.        Résultats de l’expérience 4

Tableau 4

Tableau récapitulatif du nombre d’essais nécessaires à l’atteinte du point sonore au vent en voilier suivant une route indirecte (40°) sans unité et avec une unité de temp

(en mètres)

sans unité

unité de temps

sujet 1

8

5

sujet 2

10

5

sujet 3

10

7

sujet 4

5

4

sujet 5

4

4

sujet 6

8

6

Ecart-type

2,51

1,17

Moyennes

7,50

5,17

Le nombre moyen d’essais nécessaires aux sujets pour atteindre le point sonore au vent suivant une route indirecte est de 7,5 sans utilisation d’unité alors qu’il est de 5,17 lors de l’utilisation d’une « unité de temps à vitesse constante » (tableau 4). Selon le test statistique du t de Student apparié, la différence entre ces deux résultats est significative à 95% ( t=3,264 pour 2,571 à 95%).

Par ailleurs le diagramme (annexe 4) de la progression du sujet n°3 au cours de chacun des essais montre bien comment « l’unité de temps à vitesse constante » permet le rapprochement de la bouée au vent à chaque essai alors que, sans unité, les essais ne sont pas toujours progressifs. Ainsi, au huitième essai sans unité, le sujet trois arrive à une distance de 4 mètres de l’objet alors qu’il sera de nouveau à 7 mètres lors de l’essai suivant.

De plus, dans les situations où le sujet dispose d’une unité de temps à vitesse constante, nous observons une stabilité des performances au cours des essais.

L’unité de temps à vitesse constante est donc efficace pour les sujets privés de la vue cherchant à appréhender la distance lors d’une route indirecte en voilier.

Finalement la quatrième sous hypothèse de cette étude, selon laquelle « dans une tâche de locomotion l’unité de « temps à vitesse constante » correspondant à une fraction d’une durée de référence constitue des repères de distances pour les sujets atteints de cécité », est validée.


 

III.5.                Expérience de représentation de trajectoire

Cinquième sous hypothèse: Dans une tâche de représentation de parcours de match-racing balisés sonores indirects avec plusieurs virements de bord, les sujets atteints de cécité disposant de repère temporel à vitesse constante et d’une carte tactile fondée sur l’élément « vent » présentent de meilleures performances.

EXP 5 :

VI : production et représentation graphique de trois parcours indirects, respectivement (1, 2 et 3 changements de direction) réalisés en voilier.

VD : distance entre les positions réelles (traces G.P.S.) des virements de bord et ceux représentés graphiquement.

Analyse graphique qualitative.

III.5.a.       Protocole 5

Compte tenu de l’important travail d’expérimentation que nécessite le protocole de cette cinquième expérience et de la complexité des rapports entre représentation graphique et représentation mentale chez les personnes aveugles de naissance, nous abordons cette cinquième sous hypothèse sous la forme d’une étude de cas du sujet n°4. En effet les outils « bouées sonores », « carte en relief » et « montre vocale » sont testés avec un marin non-voyant tardif avant d’être abordés avec des sujets non-voyants congénitaux.

Sur un parcours balisé sonore dans l’axe du vent, le sujet est à bord d’un voilier barré par un voyant à l’allure au près. Le sujet dispose, soit d’aucune aide autre que les balises sonores, soit d’une montre vocale, soit d’une carte en relief de l’espace vent, soit des deux pour réaliser deux trajectoires demandées (annexe 5).

Pour chacune de ces situations deux tâches sont attribuées au sujet :

-         effectuer les deux trajectoires demandées ;

-         représenter sur du papier tactile (annexe 3) les trajectoires effectivement réalisées.


-          

Expérience 5.1 : repères sonores exclusivement

Tout d’abord le barreur effectue le trajet indirect de la bouée sous le vent (BSV) à la bouée au vent (BAV) avec un seul virement de bord*.

Ensuite il est demandé au sujet se trouvant à bord du voilier à la bouée sous le vent de guider le barreur, c’est-à-dire choisir les moments des virements afin de réaliser la trajectoire 1 décrite verbalement :

« Monter à la bouée au vent en deux virements sans sortir du cadre de course en passant par le centre du parcours ».

Le sujet représente ensuite graphiquement le parcours qu’il pense avoir effectué sur du papier tactile où ne figurent que la bouée au vent et la bouée sous le vent.

Finalement le sujet guidera l’expérimentateur afin de réaliser la trajectoire 2 (annexe 5) décrite verbalement:

« Monter à la bouée au vent en trois virements en passant par le centre et en restant en permanence à droite de l’axe du parcours sans sortir du cadre de course ».

Il représente ensuite sa trajectoire.

Expérience 5.2 : repères sonores et temporels à vitesse constante

Au sein de cette expérience, en plus des informations sonores des balises, le sujet, sensibilisé au repère de « temps à vitesse constante » par l’expérience 4.2, dispose des informations temporelles d’une montre vocale indiquant les secondes. Le déroulement de l’expérience 5.2 est identique à celui de l’expérience 5.1.

Expérience 5.3 : repères sonores et tactiles

Le sujet dispose des informations sonores des balises et d’une carte en relief (annexe 5) où sont représentés les balises du parcours, le cadre de course fractionné et la trajectoire à parcourir. Trois minutes sont laissées au sujet pour explorer cette carte en lui expliquant que « les lignes représentent les parallèles aux directions suivant lesquelles le voilier avance ».

Le déroulement de l’expérience est strictement identique aux précédents, exceptée la description du parcours. Cette dernière est ici réalisée au moyen d’informations uniquement tactiles. En effet les trajectoires 1 et 2 sont perceptibles tactilement sur la carte. Cette dernière est laissée à la disposition du sujet pendant les trajets. Finalement les représentations graphiques ont lieu sur du papier relief vierge où est représentée la carte du cadre de course.

Expérience 5.4 : repères sonores, temporels et tactiles

Le sujet dispose à la fois des informations sonores des bouées, des informations temporelles de la montre vocale et de celles tactiles de la carte en relief du parcours.

Le déroulement de l’expérience 5.4 est identique à l’expérience 5.3.

III.5.b.       Recueil de données

Les trajectoires sont enregistrées avec un G.P.S.. Ces traces G.P.S. sont imprimées et rapportées à l’échelle des représentations graphiques du sujet, trace en relief, par l’intermédiaire d’agrandissements d’un photocopieur si nécessaire. Le cadre de course est ensuite tracé sur la feuille de la trajectoire G.P.S.. Finalement les trajectoires réelles, représentées et demandées sont superposées. Des mesures d’écarts sont réalisées en centimètres à chaque changement de direction pour comparer la précision des trajectoires demandées et réalisées d’une part et les trajectoires réalisées et représentées d’autre part.

Le choix de la mesure des centimètres étant arbitraire, nous considèrerons ces valeurs comme un indice sans unité.


 

III.5.c.        Résultats de l’expérience 5

Tableau 5

Distances (sans unité) entre les virements réalisés (trace GPS) et demandés au cours des expériences 5.1, 5.2, 5.3 et 5.4.

Indices d’écart entre les virements réalisés et demandés

5.1 :

Repères sonores

5.2 : Repères sonores et temporels

5.3 : Repères sonores et tactiles

5.4 : Repères sonores temporels et tactiles

Trajectoire 1 : distance aux virements 1 ; 2

4 ; 10

2 ; 1

2 ; 5

3 ; 2

Trajectoire 2 : distance aux virements 1 ; 2 ; 3

3 ; 3 ; 1

1 ; 1 ; 2

5 ; 3 ; 3

2 ; 0 ; 2

Ecart-types des écarts de l’ensemble de virements

3,42

0,55

1,34

1,10

Moyenne des écarts de l’ensemble des virements

4,2

1,4

3,6

1,8

Les chiffres de la ligne « moyenne des écarts de l’ensemble des virements » présentent des indices quant à la précision avec laquelle le sujet se repère dans l’espace de match-racing sonore en cours d’action. Lors des expériences 5.2 et 5.4 les résultats obtenus présentent des écarts respectifs de 1,4 et 1,8 alors que les résultats des expériences 5.1 et 5.3 sont bien moins bons avec des écarts de 4,2 et 3,6 entre les trajectoires demandées et celles réalisées (tableau 5). Or lors des situations expérimentales 5.2 et 5.4 le sujet dispose du repère de temps à vitesse constante contrairement aux expériences 5.1 et 5.3. Ce repère de temps est donc particulièrement efficace pour permettre au sujet non-voyant de se repérer dans l’espace de match-racing sonore en cours d’action.


Tableau 6

Distances (sans unité) entre les virements réalisés (trace GPS) et représentés (trace en relief produite) par le sujet 4 au cours des expériences 5.1, 5.2, 5.3 et 5.4.

Indices d’écart entre les virements réalisés et représentés par le sujet 4

5.1 :

Repères sonores

5.2 :

Repères sonores et temporels

5.3 : Repères sonores et tactiles

5.4 :

Repères sonores temporels et tactiles

Trajectoire 1 : distance aux virements 1 ; 2

5 ; 7

3 ; 2

2 ; 1

3 ; 1

Trajectoire 2 : distance aux virements 1 ; 2 ; 3

1 ; 2 ; 3

1 ; 2 ; 3

2 ; 1 ; 2

1 ; 0 ; 2

Ecart-types des écarts de l’ensemble de virements

2,41

0,84

0,55

1,14

Moyenne des écarts de l’ensemble des virements

4

2,2

1,6

1,5

Les chiffres de la ligne « moyenne des écarts de l’ensemble des virements » constituent un indice renseignant sur l’importance de l’écart existant entre la représentation spatiale mentale du sujet n°4 après l’action et les parcours réellement effectués (annexe 5). La discordance la plus importante entre représentation et réalité a lieu dans la première situation. Ainsi, lorsque le sujet ne dispose que des informations des bouées sonores, cet écart est doté d’un indice de 4. A l’inverse la congruence la plus importante entre les parcours effectués et représentés correspond à l’expérience 5.4. Lorsque le sujet dispose simultanément des informations sonores, des informations temporelles à vitesse constante et des informations tactiles de la carte en relief, il représente les virements de sa trajectoire avec un écart de 1,5 (tableau 6). Ces résultats permettent de dire que l’association des repères de « temps à vitesse constante » et de la « carte en relief » sont efficaces. La précision des représentations du sujet au cours des expériences 5.2 et 5.3 montre des écarts respectifs de 2,2 et 1,6 avec la trace du G.P.S. (tableau 6). Le résultat de l’expérience 5.3 est très proche de l’expérience 5.4. Ainsi, le repère de la carte tactile semble particulièrement efficace pour la représentation graphique spatiale de trajectoires de match-racing sonore par ce marin non-voyant après l’action. Sur le plan abstrait, la carte tactile remplace la montre vocale en donnant une échelle des distances à la représentation graphique.

Finalement, si on considère à la fois les résultats concernant la précision des trajectoires réalisées par rapport aux trajectoires demandées et les trajectoires représentées par rapport aux trajectoires réalisées, l’expérience 5.2 présentent les meilleurs résultats dans l’action avec un écart moyen de 1,4 (tableau 5). Autrement dit, les résultats de l’expérience 5 montrent que le repère de temps à vitesse constante est plus efficace que la carte tactile dans l’action. Par contre sur le plan de la représentation graphique, l’adition de la carte en relief et de la montre vocale se révèle une combinaison efficace avec un écart de 1,5 (tableau 6) entre les virements réalisés et les virements représentés.

La considération des résultats obtenus au cours de cette cinquième expérimentation valide partiellement la cinquième sous hypothèse selon laquelle « dans une tâche de représentation de parcours de match-racing balisés sonores indirects avec plusieurs virements de bord, les sujets atteints de cécité disposant de repère temporel à vitesse constante et d’une carte tactile fondée sur l’élément vent présentent à la fois de meilleures performances et de meilleures représentations.» Cependant, cette cinquième sous hypothèse est nuancée par le fait que la carte tactile n’améliore pas les résultats en cours d’action.

Nous précisons donc que le repère de temps à vitesse constante est plus efficace en cours d’action alors que celui de la carte tactile semble se révéler plus intéressant après l’action. 

La confirmation partielle est intéressante pour notre étude future dans le sens où elle valide tout de même les outils : « montre vocale » et « carte en relief » pour appréhender et améliorer la représentation spatiale des marins non-voyants sur un parcours de match-racing sonore.

L’analyse qualitative des trajectoires réelles et des trajectoires représentées par rapport aux trajectoires demandées (annexe 5) est réalisée en discussion.


 

III.6.                Vérification de l’hypothèse générale

L’ensemble des résultats présentés valide les cinq sous hypothèses de cette étude.

L’expérience 1 confirme la capacité des sujets non-voyants à réaliser une tâche de locomotion maritime à la voile.

L’expérience 2 soulève les limites de la précision des objets sonores en présence de vent et justifie de fait la recherche de nouveaux repères.

L’expérience 3 montre, d’une part, en quoi les objets sonores permettent un contrôle rétroactif indispensable mais insuffisant et, d’autre part, comment l’utilisation d’une carte en relief permet d’améliorer la trajectoire initiale détériorée par le problème de la déportation du son par le vent.

L’expérience 4 justifie de la possibilité d’utiliser le repère de « temps à vitesse constante » correspondant à une fraction d’une durée de référence pour appréhender la distance sur un parcours de match-racing sonore.

L’expérience 5 valide la « montre vocale » et la « carte en relief » comme outils utiles à l’amélioration respective de la précision l’action spatiale et de la représentation spatiale des sujets non-voyants sur un parcours de match-racing sonore.

Ces résultats entraînent la validation de l’hypothèse générale.  Ainsi, « au cours d’une tâche de locomotion maritime à la voile sur un parcours balisé sonore dans l’axe du vent, la coordination des informations de direction fournies par les sensations du voilier par rapport à l’élément « vent », des informations de distance fournies par une unité de temps correspondant à une fraction d’une durée de référence et des informations tactiles d’une carte du parcours, permet à des sujets en situation de cécité d’élaborer une carte cognitive de cet espace. Ces repères permettent la construction proactive de l’action spatiale alors que la localisation d’objets sonores constitue son contrôle rétroactif. ».

Finalement, cette étude pourrait impliquer une autre étude plus approfondie sur les techniques d’entraînement pour les marins non-voyants pratiquant une activité match racing-sonore. En effet, la difficulté pour un individu non-voyant en match-racing consiste à connaître sa position sur le parcours avant de chercher à élaborer une tactique visant à gêner l’autre voilier pour lui passer devant. Les outils validés dans cette étude nous permettent de préciser où le sujet non-voyant se trouve. La question envisagée pour une autre étude serait de savoir si ces outils sont efficaces pour connaître les positions absolues et relatives de l’autre voilier et ainsi envisager des options tactiques.

Cependant la précision de ces représentations nécessite un travail psychologique et expérimental important. Ainsi la discussion suivante concernant cette étude s’attache à soulever les concepts psychologiques et les limites méthodologiques rencontrées afin d’améliorer la qualité des travaux à venir.


 

IV.            Discussion

Le but de cette recherche était d’étudier les rôles respectifs des sensations liées à l’action (sensations de glisse et audition des bouées en présence de l’élément « vent ») d’une part et des outils (carte tactile et repère de temps à vitesse constante) liés à la construction de représentations permanentes à coordinations verticales de l’espace euclidien et du temps mathématisé d’un parcours de match-racing sonore pour les sujets non-voyants dans l’activation d’une représentation spatiale circonstancielle

Comment les représentations permanentes à coordinations verticales structurent-elles la représentation ?

Comment les informations liées à l'action actualisent-elles les représentations permanentes abstraites ?

Au regard des résultats des différentes expériences, nous classerons les repères suivant deux catégories. La première concerne les indices contextuels et les repères issus des représentations coordonnées horizontalement permettant l’actualisation des représentations spatiales transitoires activées en mémoire de travail au cours de l’action ; la seconde réunit les invariants utilisés pour la construction de représentations spatiales permanentes à coordinations verticales stockées en mémoire à long terme.

Finalement nous expliciterons comment les éléments contextuels, les constructions verticales et horizontales permettent un travail cognitif concomitant des mémoires de travail et à long terme pour la construction de représentations spatiales euclidiennes permanentes des marins non-voyants au cours de l’activité match-racing sonore.


 

IV.1.              Le rôle des informations liées à l’action

Le vent permet de conduire un voilier sans la vue. Cependant « la stabilité perceptive de l’environnement spatial, […] n’est obtenue qu’à deux conditions : Etre informé sur ses propres modifications de position d’une part ; [et] référer sa position initiale comme sa position finale par rapport à des invariants spatiaux présents dans l’environnement d’autre part » (Paillard, 1973). Comment cette stabilité perceptive de l’environnement spatiale peut-elle être construite au sein de l’activité match-racing sonore des marins non-voyants.

 « La réalité spatiale à laquelle accède un organisme dépend fondamentalement de l’équipement sensoriel dont il est doté » (Paillard, 1973). Or, bien que la cécité interdise l’utilisation de repères visuels pour appréhender l’espace lointain, la logique inhérente à l’activité voile permet aux personnes non-voyantes de conduire un voilier. Les différents résultats de la première expérience (tableau 1) de ce mémoire montrent d’importantes différences de tenue de cap « sous voile » et « au moteur ». Trois exemples de trajectoires représentées en annexe 1 sont particulièrement spectaculaires. « Au moteur » le sujet n°1 effectue plus d’un tour et demi sur lui-même alors qu’il pense maintenir une trajectoire rectiligne. Dans ces conditions : absence totale de vent et de vague, soleil au zénith et absence de repère de barre droite, ce dernier déclare ensuite « n’avoir strictement aucun repère ». Par contre cet exemple de trajectoire « sous voile » ne présente pas d’écart de cap de plus de dix degrés. Ces résultats montrent qu’au cours de l’activité voile, les sensations de glisse produite par l’élément « vent » rendent accessible la conduite d’un voilier par les personnes non-voyantes. 

Les résultats d’un travail préliminaire (Simonnet, 2002) explicitent les repères auditifs, vestibulaires, kinesthésiques et haptiques disponibles pendant la marche d’un voilier. En effet le bruit du faseyement des voiles, les sensations de gîte et celles des écoulements de l’eau sur la coque informent les sujets non-voyants sur leur vitesse de déplacement. A partir de ces informations contextuelles, les marins non-voyants ont construit des scripts fondées sur des couples d’informations au fur et à mesure de leurs navigations. Si le bateau ne gîte plus, alors la puissance des voiles est perdue. Si les voiles faseyent le sujet abat* sinon il lofe* jusqu’à ce que le voilier gîte à nouveau. Ce fléchage cognitif est fondé sur une relation de causes à conséquences et orienté dans le temps. Il participe à la construction de représentations spatiales à coordinations horizontales relatives à la vitesse de déplacement. Ces représentations ne peuvent être qualifiées d’euclidiennes du fait de l’absence de système de mesure en fonction d’une unité.

L’élément « vent » se révèle également un invariant d’orientation relative. Ainsi, lorsque toutes voiles sont réglées au près* et que le voilier gîte*, les marins non-voyants savent qu’ils naviguent à quarante degrés de la source du vent et connaissent également l’amure* sou laquelle ils naviguent. Cependant, cet élément ne constitue en rien un élément capable de renseigner les marins non-voyants sur l’état de leurs positions initiale et finale. Ainsi, les représentations spatiales coordonnées horizontalement issues des sensations de glisse permettent aux sujets aveugles de savoir s’ils avancent ou non et de connaître leur orientation relative à l’élément « vent » mais ne les informent en rien sur leur position.  Ce dernier constat justifie la mise au point de bouées sonores en tant qu’invariants spatiaux pour tenter de renseigner les marins non-voyants sur leur position sur un parcours de match-racing sonore conformément à la théorie de Paillard (1973).

La référence aux travaux de Mac Arthur (1994) rappelle que l’indice sonore renseigne sur la distance selon cette première règle : « L’intensité décroît avec le carré de la distance de la source » ; et sur la direction selon cette seconde règle : « la différence de temps d’arrivée entre les deux oreilles est variable en fonction de l’azimut ». Ainsi les résultats de l’expérience 2 en absence de l’élément « vent » montrent que les sujets évaluent relativement correctement les orientations (69% de réponses exactes) et les distances (48%) d’objets dont ils disposent d’indices sonores (tableau 2).

En absence de l’élément « vent », les bouées sonores permettent la construction de l’« image opérative » de Piaget reprise par Ochanine (1981). En effet, l’activité de la mémoire de travail utilise de manière concomitante les indices sonores contextuels, les représentations spatiales permanentes coordonnées verticalement issues des lois de Mac Arthur (1994) et les représentations spatiales permanentes à coordinations horizontales que constituent les expériences auditives antérieures pour activer une représentation spatiale circonstancielle en cours d’action dont la précision pourrait se rapprocher de l’espace invariant et euclidien.

Cependant la présence de l’élément « vent » créé des interactions importantes. En effet, l’influence de ce dernier sur la localisation d’une source sonore est mise à jour au travers des résultats de l’expérience 2. En présence de l’élément « vent » la règle de Mac Arthur (1994) est plus ou moins faussée en fonction de l’intensité du vent mais également de son orientation. En effet, les résultats de l’expérience 2 énoncés précédemment chutent à 46% de bonnes réponses en orientations et 32% en distance (tableau 2). L’élément « vent » perturbe donc la localisation des sources sonores conformément à la validation de la seconde sous hypothèse. L’analyse plus précise de ces résultats tend à confirmer que la présence de l’élément « vent » entraîne la déportation du son. Pour illustrer cette affirmation, prenons l’exemple d’un son positionné à « cinq heures » (le second de la liste, voir en annexe 2) : les sujets non-voyants le localisent systématiquement à « six heures » en présence de l’« élément vent ». Cette constatation va dans le sens d’une source sonore dont la perception est déportée dans la direction du vent.

Par ailleurs, au cours d’une tâche de locomotion pédestre autonome en situation ventée (expérience 3), les sujets s’écartent de la route directe selon des trajectoires initiales sous le vent, puis se recentrent progressivement à l’approche de la source sonore (tableau 3). La règle selon laquelle le son est déporté par le vent s’enrichit de la façon suivante : plus le son est loin du sujet, plus il est déporté, plus la représentation spatiale du sujet est erronée et imprécise. Les sons générés à midi et six heures répondent également au phénomène de déportation mais de façon différente. Ainsi, les sujets avançant vers un son à midi (vent de face) commencent à ralentir et à chercher l’objet sonore un à deux mètres avant. A l’inverse, pour un son à six heures (vent dans le dos), ces derniers « butent » contre la bouée sonore posée au sol alors qu’ils ne pensaient pas être arrivés. Finalement les sujets parviennent sans exception à atteindre l’objet sonore. Ainsi nous nuançons l’affirmation de Mac Arthur (1994) selon laquelle la perception à elle seule suffit à définir l’azimut et la distance d’un objet dans une situation de locomotion. Les résultats de l’expérience 3 montrent que la représentation spatiale issue d’indices sonores en situation ventée s’actualise constamment et ne devient efficace que lorsque la proximité entre le sujet et la source sonore est importante (ici inférieure à dix mètres) (tableau 3). Ainsi, l’image opérative devient floue et erronée lorsque les principes de base de la représentation spatiale auditive permanente à coordinations verticales sont faussés par la présence de l’élément « vent ».

L’élément « vent » joue donc un double rôle dans l’activité match-racing sonore. Tout d’abord, conformément à la pratique de la voile en général, le vent est la condition sine qua none à la mise en place de l’activité. En ce qui concerne les marins non-voyants, le vent est nécessaire pour la procuration de sensations de glisse. Il existe un seuil de vitesse de vent au dessous duquel il devient particulièrement difficile à un sujet non-voyant de conduire un voilier. D’après la pratique de ces deux dernières années, ce seuil varie en fonction du niveau d’expertise du sujet, de la surface de voilure et du poids de l’embarcation. Une étude plus précise pourrait être engagée sur cette question. Nous considérons la présence de l’élément « vent » à partir de huit nœuds*.

Ensuite, d’une façon plus spécifique aux personnes aveugles dans l’activité de match-racing sonore, l’élément « vent » joue un rôle perturbateur pour la localisation des invariants spatiaux sonores. Ainsi, à travers la déportation variable des sons par le vent, cet élément ôte aux marins non-voyants tout espoir de construction d’une représentation spatiale euclidienne de la position du voilier relative au parcours fondée sur les indices sonores.

Finalement, nous admettons que l’indice sonore en présence de l’élément « vent » offre la possibilité de construire une représentation spatiale permanente coordonnée horizontalement mais non euclidienne. Ainsi la représentation spatiale transitoire construite en mémoire de travail est variable selon les contextes de course. Autrement dit, à cause de l’élément « vent » l’image opérative d’un espace sonore reste floue pour les marins non-voyants.

En situation ventée, les signaux sonores seuls ne permettent donc pas l’élaboration d’une représentation spatiale permanente efficace. L’espace sonore décrit par les sujets ne présente pas une rigueur mathématique suffisante à la construction de la représentation spatiale euclidienne. Cependant ces sons entraînent une mentalisation de l’environnement supérieure à l’espace topologique suivant lequel les relations de distance et d’orientation sont absentes. Selon la nomenclature de la construction de l’espace de Piaget (1966), les repères sonores en situation ventée permettent aux sujets aveugles de cette expérience de mettre en place un espace projectif, c’est-à-dire de se représenter l’espace de façon structurée même en l’absence de manifestations physiques permanentes.

L’expérience 5.1 (annexe 5), où le sujet doit réaliser en voilier un parcours précis décrit verbalement, montre les limites de la représentation spatiale construite à partir du système [voilier, bouées sonores, élément « vent »]. En effet ces seuls repères auditifs suffisent au sujet n°4 pour réaliser « approximativement » les trajectoires 1 et 2 demandées (annexe 5). Ce constat va dans le sens de la théorie de Mac Arthur (1994). En effet, le sujet localise les sources sonores. Cependant les performances réalisées (tableau 5 et 6) ne témoignent pas de la construction de la représentation d’un espace euclidien grâce à ce système. Le détail du parcours en deux virements montre les limites des informations spatiales auditives. En effet la trajectoire dessinée par le sujet n°4 (annexe 5) représente un premier bord deux fois plus court que celui réalisé, et un troisième bord plus de trois fois plus long que la réalité. Pourtant il ne peut s’agir de biais dus à la représentation graphique tels que « l’effet de détours » ou de la « vitesse d’exploration » puisque le sujet dispose de papier relief vierge où seules les deux balises sont représentées. Celui-ci (droitier) pose le pouce sur la bouée sous le vent et l’index sur la bouée au vent. Il prend ensuite le temps de prendre les mesures de différents écarts pouce-index avec l’autre main pour choisir l’emplacement de ses virements. Finalement il les relie à la règle. Cette technique bi-manuelle est conforme aux explications de Ballesteros et al. (1998). Les biais graphiques étant écartés, la difficulté à évaluer les proportions des différents bords se révèle liée à une représentation transitoire mathématiquement floue de la position du voilier dans l’espace constitué par le parcours de match-racing sonore. Ainsi les sons et le vent ne semblent pas suffire à la constitution d’une représentation spatiale circonstancielle euclidienne.

Les résultats de l’expérience 5.1 (tableau 5, annexe 5) vérifient l’idée apportée par l’interprétation des résultats des expériences 2 et 3 (tableaux 2 et 3) selon laquelle les repères sonores en situation ventée offrent une précision spatiale particulièrement tardive répondant plus au fonctionnement rétroactif propre au feed-back qu’à la construction d’une représentation spatiale efficace pour la réalisation d’une trajectoire.

En conclusion, les informations liées à l’action telles que les sensations de glisse et les sons des bouées participent à l’élaboration d’une représentation spatiale non euclidienne et relativement floue. Les représentations transitoires activées perdent de leur efficacité lorsqu’il y a un déficit de précision de la représentation spatiale permanente à actualiser.

IV.2.              Le rôle des représentations permanentes

Comment les représentations permanentes à coordinations verticales structurent-elles la représentation ? Quelles informations issues des outils « carte en relief » et « montre vocale » permettent-elles aux marins non-voyants d’obtenir des représentations spatiales permanentes euclidiennes du parcours de match-racing sonore ?

Comment ces représentations s’articulent-elles avec les représentations circonstancielles pour être utilisables et pertinentes au cours de l’action ?

Afin de pallier au problème de la déportation du son par le vent, nous fournissons aux sujets de l’expérience 3 une carte en relief représentant l’espace qui les entoure conformément à un cadran horaire . Ainsi nous étudions la construction d’une représentation abstraite issue du toucher d’une carte tactile en présence de l’élément« vent ». Nous nous interrogeons sur la possibilité des sujets non-voyants à améliorer la précision des actions spatiales et à construire une représentation permanente d’un espace euclidien grâce à cet outil relativement simple. En effet le concept  « midi est dans l’axe du vent » permet d’aligner cette carte abstraite sur la réalité. Ainsi les orientations abstraites et réelles correspondent. La graduation en douzièmes angulaires de l’espace qui entoure les sujets dans la dimension horizontale présente l’« horaire » comme une unité spatiale euclidienne en orientation.

L’expérience 3 introduit donc l’utilisation d’une carte tactile représentant le cadran d’une horloge.

Cette stratégie doit donc permettre aux sujets non-voyants d’anticiper la déportation du son par le vent afin de réaliser la route directe pour atteindre des points sonores situés à différents horaires. La disposition d’une carte en relief représentant un cadran d’horloge améliore effectivement la trajectoire initiale. En effet, le vent étant indiqué à midi sur la carte, les sujets alignent cette dernière sur l’environnement physique réel grâce au « son du vent dans les deux oreilles en même temps » comme l’affirme le sujet n°1. La carte en relief constitue donc le support à une représentation spatiale imagée. L’isomorphisme entre l’espace physique et la représentation imagée permet de parcourir cette représentation de façon mentale de la même manière que la plage de façon physique. Ici les angles de chaque horaire représentés sur la carte et le positionnement de la bouée sonore sont strictement identiques. Conformément au concept de Marr (1980), l’intervention d’un travail cognitif au niveau central s’ajoute à l’« esquisse primaire brute » que constituent le vent et la carte en relief. Cette carte apparaît comme un outil indispensable à la réalisation d’une trajectoire initiale directe. Sa précision apparaît efficace quant à la constitution d’une représentation spatiale euclidienne en orientation.

Le déroulement de cette expérience montre qu’au fur et à mesure des annonces verbales de l’expérimentateur concernant les horaires où se trouvent les objets sonores, certains sujets utilisent de moins en moins la carte pour finalement ne plus la toucher du tout. Par contre des mouvements de bras remplacent le toucher de la carte et semblent tenter de construire les orientations des horaires demandés en « grandeur nature ». Le questionnement de l’expérimentateur à ce propos amènera notamment le sujet n°2, aveugle congénital, à expliquer sa connaissance mentale tactile du cadran horaire et la nécessité de se concentrer plutôt sur l’environnement. Cette réponse ne constitue pas un argument en faveur de l’utilisation de la représentation propositionnelle fondée sur des données verbales. Bien au contraire la possibilité d’utiliser cette représentation spatiale imagée issue de la modalité tactile en l’absence du support sensoriel initial élève cette carte tactile au rang de représentation imagée permanente autre que visuelle. Ce constat renforce l’idée de Gaonac’h et Larigauderie (2000) selon laquelle « les représentations visuelles ne constituent pas un caractère essentiel de l’imagerie ». Le repère de la carte tactile est donc un indice participant à la construction de représentations spatiales permanentes à coordinations verticales. Mais la carte tactile représentant l’espace-vent du parcours de match-racing sonore est-elle aussi efficace? Permet-elle aux régatiers non-voyants d’appréhender la distance ? Comment fonctionne-t-elle ?

Dans les conditions de l’expérience 5.3 où le sujet est à bord d’un voilier et dispose d’une carte tactile représentant l’espace-vent du parcours de match-racing et des sons des bouées sonores, il représente de façon précise le parcours qu’il a effectué (tableau 5, annexe 5). Cette précision n’est pas aussi importante en direction qu’en orientation. Nous constatons donc que les lignes parallèles aux trajectoires tribord amure et bâbord amure du voilier offre une représentation imagée permanente à coordinations verticales de la même manière que le cadran horaire. En effet, la trajectoire du voilier s’inscrit dans l’espace géographique du plan d’eau en intégrant l’orientation du vent à midi, ou « au nord de la carte », ou encore « en haut ». Etant retenue « par cœur » comme une image tactile par le sujet, cet alignement angulaire de la représentation spatiale permanente en orientation dans le plan horizontal permet la construction d’une image euclidienne de la direction du voilier dans le cadre de course de match-racing.

En ce qui concerne la représentation de la distance, le sujet présente un résultat intéressant au cours de l’expérience 5.3. Ainsi la trajectoire réalisée construit une image euclidienne utilisant la symétrie. En effet, le sujet explique comprendre qu’il faut réaliser la même distance en tribord et bâbord amure* pour atteindre la bouée au vent*. Cette représentation spatiale permanente est de type euclidien à travers l’utilisation d’une égalité mathématique impliquant les additions respectives des distances des deux bords. Cependant, au regard des résultats de l’ensemble de l’expérience 5, ce concept ne suffit pas à la précision de la représentation spatiale en cours d’action (tableaux 5 et 6, annexe 5). Nous supposons ici un défaut d’unité mesurable. Cette représentation permanente à coordinations verticales correspond donc à un concept d’ordre supérieur, une vérité universelle nécessitant d’être actualisée par une représentation transitoire euclidienne dotée d’une unité mesurable.

Dans les conditions de l’expérience 5.2, le sujet n’est pas en mesure de représenter de façon conforme les trajectoires (annexe 5) qu’il a comprises et construites sur la base des repères temporels et sonores. Le défaut de connaissance et de contact avec la carte tactile représentant « l’espace-vent » limite les possibilités de représentations spatiales euclidiennes. Pourtant l’unité de temps à vitesse constante dont dispose le sujet dans cette expérience lui permet de réaliser une trajectoire proche de celle demandée. Ainsi, l’outil « montre vocale » proposerait également des caractéristiques euclidiennes.

Des relevés G.P.S. de vitesse (annexe 1) lors de la conduite d’un voilier par le sujet n°3 témoignent d’une vitesse régulière comprise entre 4 et 4,6 nœuds (annexe 1). Il est ainsi effectivement possible de considérer que le voilier se déplace à vitesse constante lorsqu’un marin non-voyant est à la barre.

L’objectif de l’expérience 4 consiste à valider le repère de « temps à vitesse constante » correspondant à une fraction d’une durée de référence pour permettre aux marins non-voyants d’appréhender la distance sur un parcours de match-racing  sonore. Il s’agit donc de valider l’outil « montre vocale ». Les résultats de cette expérimentation (tableau 4), en plus de valider la quatrième sous hypothèse, montrent que le repère de « temps à vitesse constante » sur un parcours sonore maritime est particulièrement efficace. Une illustration du mode de fonctionnement de ce repère de distance est en annexe 4. Le graphique montre comment, sans unité de distance ou de « temps », les performances réalisées sont particulièrement instables et présentent l’inconvénient de laisser cours à d’importantes régressions de performances même au fur et à mesure des essais. Ainsi, au huitième essai sans unité, le sujet n°3 arrive à une distance de quatre mètres de l’objet alors qu’il sera de nouveau à sept mètres de distance lors de l’essai suivant. A l’inverse l’unité de « temps à vitesse constante » présente une courbe de performance constamment en progression ou relativement stable. Les différents essais établissent des durées de référence. Par exemple « 180 secondes en tribord amure c’est trop court ». Le temps est donc support de l’activité du système nerveux centrale et ajuste une représentation spatiale transitoire euclidienne. Mais ce repère de temps participe-t-il exclusivement à l’ajustement d’une représentation spatiale transitoire fondée sur un temps de référence ? Permet-il également de construire une représentation sémantique permanente donnant une signification spatio-temporelle au bord du cadre* de course ?

La performance du sujet nécessite la réalisation d’au moins un essai afin d’établir un temps de référence. Si le sujet prend comme repère un bord de 180 secondes et que le vent faiblit en entraînant une diminution de la vitesse du voilier, le temps devra être rallongé. Au regard des améliorations des sujets produites à chaque nouvel essai de l’expérience 4 où ils disposent d’un repère de temps, il paraît évident de classer les représentations spatiales liées à ces ajustements spatio-temporels dans les représentations transitoires élaborées en cours d’action. Le temps de référence et sa signification sont pourtant indispensables à une utilisation efficace de cet indice. Aussi la notion « temps de référence » pour réaliser le bord du cadre de course pourrait participer à une représentation sémantique permanente. Selon cette idée les sujets non-voyants connaissent la nécessité de parcourir un temps de référence sur un bord sensiblement identique à un temps de référence sur l’autre bord. Nous assimilons cette connaissance à une représentation sémantique spatio-temporelle permanente par opposition aux calculs d’ajustement de ce temps de référence. En effet les opérations menées en mémoire de travail pour ajuster ce repère temporel sont le fruit de combinaisons comprenant différents concepts éphémères : azimut de la bouée, vitesse du voilier en fonction du vent et des écoulements, expériences passées… Aussi le repère de temps semble se diviser en notions et calculs participant respectivement aux représentations permanentes et transitoires euclidiennes du repérage spatiale des sujets non-voyants au cours de l’activité match-racing sonore.

La capacité des sujets non-voyants à faire correspondre le temps et l’espace repose sur la formule mathématique suivante : la distance est égale à la vitesse constante multipliée par le temps. Ainsi, les représentations liées au temps reposent sur la compréhension d’une opération universelle. Elles sont donc coordonnées verticalement.

L’expérience 5.2 introduit le repère de « temps à vitesse constante » correspondant à une fraction d’une durée de référence. Cette expérience cherche à vérifier si la formule selon laquelle la distance est égale à la vitesse multipliée par le temps appliquée en voile sonore permet aux sujets non-voyants. Les résultats de cette expérience (tableau 5) montrent que le repère de temps est particulièrement efficace sur le plan de l’action. Ainsi, après avoir relevé le temps du bord de cadre et consacré quelques secondes à la réflexion, le sujet n°4 annonce au barreur deux temps correspondant aux virements de la trajectoire 1 et par la suite trois temps correspondant aux virements de la trajectoire 2 (annexe 5). Le sujet rectifiera également le temps du troisième virement de la trajectoire 2 après avoir jugé le second virement de bord relativement lent. Ce fait expérimental montre en quoi la vitesse et le temps coordonnés de façon verticale dans la représentation spatiale permanente euclidienne participent à l’ajustement de cette dernière par l’intermédiaire d’une représentation spatiale transitoire euclidienne.

L’analyse des résultats de l’expérience 5 montre comment les repères de « temps à vitesse constante » correspondant à une fraction d’une durée de référence et la « carte en relief » de l’« espace–vent » du parcours de match-racing sonore sont efficaces. L’efficience de ces outils pour les sujets non-voyants se manifeste sous deux formes. Dans un premier temps, la concordance entre les trajectoires effectuées et représentées (annexe 5) témoignent de l’intérêt de ces outils pour la précision de la représentation spatiale du sujet. Dans un second temps, la comparaison entre les trajectoires demandées par l’expérimentateur (annexe 5) et celles réalisées dévoile l’efficience des repères dont disposent le sujet pour la pratique effective. La dissociation des performances relatives à la pratique et aux représentations nous a permis de comprendre le fonctionnement du repérage de ce sujet non-voyant dans l’espace-vent du parcours de match-racing sonore.

Sur le plan des représentations, l’amélioration des résultats de l’expérience 5.2 par rapport à ceux de l’expérience 5.1 montre que la représentation spatiale transitoire est précisée de façon euclidienne par le repère de temps. Cependant l’approximation de la trajectoire représentée par le sujet laisse penser que l’outil carte tactile fournit un support intéressant pour une représentation spatiale permanente et euclidienne du parcours de match-racing sonore. Dans l’expérience 5.3, les trajectoires représentées graphiquement sont particulièrement précises sur le plan de la direction (annexe 5). Ainsi l’outil « carte tactile » fournit une représentation spatiale permanente euclidienne efficace quant à la direction.

Sur le plan pratique, dans l’expérience 5.3 le sujet ne dispose pas d’informations temporelles mais utilise une carte tactile matérialisant l’espace-vent du cadre de course du parcours de match-racing sonore. Dans ces conditions, le sujet déclare « virer au hasard » ! Même si les bouées sonores sont là, le sujet  semble relativement perdu suite à la suppression de son repère « euclidien ». Effectivement les trajectoires demandées ne sont pas respectées. La trajectoire 1 présente un premier bord trop court alors que la trajectoire 2 en présente un trop long. Ce résultat confirme l’efficacité du repère temporel quand à la précision de la représentation spatiale euclidienne de la distance.

Finalement les performances réalisées lors de l’expérience 5.4 proposant au sujet l’utilisation associée des outils « carte tactile » et « montre vocale » révèlent bien une amélioration des trajectoires et des représentations spatiales de ce sujet non-voyant dans l’activité match-racing sonore.

L’ensemble de ce travail expérimental valide donc l’utilisation concomitante de la carte en relief et du repère de temps à vitesse constante pour la construction d’une représentation spatiale permanente euclidienne et efficace.

En conclusion, nous pouvons dire d’un sujet qui se repère en distance et en orientations pendant et après l’action qu’il est capable d’élaborer une carte cognitive de l’espace du parcours. Autrement dit, le sujet est capable de construire « une sorte de représentation aérienne euclidienne qui rend possible les inférences spatiales et donc les raccourcis et les nouveaux chemins » sur un parcours de match-racing sonore. Mais les représentations spatiales permanentes euclidiennes à coordinations verticales issues de la carte et du temps n’ont-elles pas besoin des représentations spatiales permanentes euclidiennes à coordinations horizontales issues des sensations de glisse et des bouées sonores pour permettre à la mémoire de travail de construire une représentation transitoire permettant d’utiliser cette carte cognitive ?


 

IV.3.              Les Interactions entre les représentations transitoires et permanentes à coordinations verticales et horizontales

Les représentations spatiales permanentes à coordinations verticales issues des de la « carte tactile » et de la « montre vocale » offrent au sujet l’accès à des concepts euclidiens relatifs à la notion d’espace-temps propre au match-racing sonore. Cependant la carte cognitive euclidienne élaborée grâce à ces représentations s’avèrerait inutilisable dans la pratique si les paramètres distance, vitesse et temps n’étaient pas actualisés au fur et à mesure du déplacement. Le sujet n’aurait aucun moyen de savoir s’il a passé ou non la bouée si la perception auditive de celle-ci ne lui indiquait pas. Par ailleurs, le sujet ne pourrait pas ajuster son temps en cours de bord si les sensations de glisse ne lui indiquaient pas la rupture de la vitesse constante. Autrement dit, c’est la mise en relation des représentations permanentes verticales avec les représentations permanentes horizontales en mémoire de travail, qui permet au marins non-voyants d’élaborer une représentation spatiale circonstancielle adaptée et donc de se déplacer au sein de la carte cognitive du parcours qui les entoure. Sans le travail commun de ces deux types de représentations. Ils ne pourraient pas réaliser les inférences spatiales nécessaires à la réalisation de routes inconnues mais maîtrisée.

L’admission d’un tel fonctionnement entraîne des conséquences sur la définition de l’apprentissage. En effet les représentations verticales en tant que concepts universels ne peuvent être modifiées. Cependant elles peuvent être complétées. Cette étude en est un exemple, le concept de temps vient compléter la carte tactile mais ne change en rien le schéma du parcours. Cependant, à notre sens l’apprentissage agit principalement sur les représentations permanentes horizontales. En effet, au regard de cette activité voile pour les personnes non-voyantes, l’affinage et la multiplication des combinaisons de concepts coordonnés horizontalement permet une adéquation de plus en plus précise des concepts verticaux et de la situation en cours, soit une correspondance plus efficace de la carte cognitive mentale et de l’espace réel du parcours. En conclusion, notre explication de l’activité cognitive du repérage spatial des marins non-voyants au cours de l’activité de match-racing sonore met un avant un apprentissage mêlant expériences et données théoriques selon le schéma suivant :

Figure 3

Schématisation du fonctionnement cognitif de repérage spatiale des marins non-voyants pour le « match-racing » sonore avec l’utilisation

 

Finalement cette étude valide le système [voilier, vent, bouées sonores, cartes tactiles et montre vocale] pour la représentation spatiale des sujets non-voyants sur un parcours de match-racing sonore. La validation de ce système correspond à la confirmation de l’hypothèse générale selon laquelle : « au cours d’une tâche de locomotion maritime à la voile sur un parcours balisé sonore dans l’axe du vent, la coordination des informations de directions fournies par les sensations du voilier par rapport à l’élément « vent », des informations de distances fournies par une unité de temps correspondant à une fraction d’une durée de référence et des informations tactiles d’une carte du parcours, permet à des sujets en situation de cécité d’élaborer une carte cognitive de cet espace. Ces repères permettent la construction proactive de l’action spatiale alors que la localisation d’objets sonores constitue son contrôle rétroactif.

Une limite du système d’informations concomitantes des repères de temps et de la carte tactile concerne les rotations de la direction de l’élément « vent ». En effet la trajectoire imprimée en annexe 6 témoigne de la possibilité d’une rotation de quarante degrés de la direction du vent. Par suite la carte tactile symétrique est faussée et le temps de référence également. Par ailleurs le temps d’un bord devient très différent de celui de l’autre bord. Dans des conditions aussi instables de vent, une expérience adéquate montrerait certainement une efficacité de la représentation spatiale transitoire actualisée par les sons émis par les bouées plus importante que celle de la représentation spatiale permanente et euclidienne. Cette représentation est donc construite sur des repères particulièrement fragiles quant aux variations de la direction de l’élément « vent ».

En conclusion les représentations spatiales transitoires et permanentes à coordinations verticales et horizontales mises en jeu à travers les outils pédagogiques présentés par cette étude sont dépendantes de l’élément « vent » et doivent être activées de concert pour être efficaces.


V.               Considérations d’ordre pratique

La réalisation des expériences précédentes à propos de la représentation spatiale des personnes non-voyantes naviguant à la voile sur un parcours de match-racing apporte des renseignements méthodologiques sur les techniques à utiliser pour réaliser des recueils de données fiables au cours d’une future étude sur la pédagogie tactique en match-racing sonore.

La principale difficulté rencontrée pour la mise en place des expériences à la voile est due aux fluctuations des conditions météorologiques. En effet la recherche d’un vent régulier compris entre huit et quinze nœuds est nécessaire. Un vent d’intensité moins importante ne permet pas aux marins non-voyants de barrer correctement alors qu’un vent plus important occulte les informations issues des bouées sonores. Outre la vitesse du vent, sa stabilité en direction est indispensable pour les représentations de trajectoires sur un parcours dans l’axe du vent. Ainsi l’annexe 6 présente des représentations de trajectoires inexploitables suite à une rotation du vent de plus de quarante degrés.

L’utilisation de l’outils G.P.S. Magellan Méridian permet l’enregistrement de trajectoires suivant un point tous les dixièmes de mille nautique, soit tous les dix huit mètres. Sachant qu’un voilier naviguant à la vitesse de deux nœuds pendant une minute parcourt environ soixante mètres, sa trace comportera seulement trois points. Alors que la trace du voilier naviguant à la vitesse de six nœuds présentera trois fois plus de points ; sa trace sera donc trois fois plus précise. Un autre biais à l’utilisation de ce type d’enregistrement apparaîtra lors de la comparaison des trajectoires simultanées de deux voiliers : l’intervalle de dix huit mètres entraîne un point toutes les six secondes et demi pour un voilier naviguant à six nœuds. Or la comparaison scientifique de deux positions doit être faite à un moment t et non à t plus ou moins trois secondes. Par ailleurs la pratique des marins non-voyants au cours de l’activité match-racing sonore s’affine de plus en plus et le repère de « temps à vitesse constante » s’approchera peut-être un jour de la seconde. Le G.P.S de marque MLR et de type SPX24, utilisé en configuration « vol libre », propose un enregistrement de points toutes les secondes. Ainsi la poursuite des travaux expérimentaux concernant l’entraînement en match-racing sonore nécessite l’utilisation de deux G.P.S. de ce type afin de pouvoir comparer précisément les trajectoires.

Par ailleurs le logiciel « G.P.S.U. 4.02 » utilisé pour les représentations graphiques de cette étude ne permet pas l’affichage simultané de deux traces issues de G.P.S. différents. A l’inverse le logiciel « Navirace », mis au point par Paul Iachkine à l’Ecole Nationale de Voile, est spécifique à la comparaison des trajectoires de voilier en match-racing. Ainsi l’utilisation de cet outil peut être envisagée dans le cadre d’une future étude pour l’entraînement des sujets non-voyants au match-racing sonore.

La pratique nous a enseignée que les marins non-voyants rencontrent des difficultés à barrer et réfléchir à leur positionnement dans l’espace de façon simultanée. Aussi, pour pallier aux erreurs de barre dues à un surcoût attentionnel et aux biais concernant les changements de barreur, l’expérimentateur voyant a tenu la barre au cours de ces expérimentations. Cependant, afin de pratiquer un entraînement efficace, les expérimentations futures gagneraient à la mise en place d’équipages non-voyants fixés au nombre de trois. Ainsi le barreur est chargé de la « glisse » du bateau exclusivement, le régleur de Grand Voile s’occupe de la position de l’embarcation sur le parcours sonore et le régleur de voile d’avant se voit confier la responsabilité de la détermination de la position de l’autre voilier.

Par ailleurs, les résultats relativement homogènes des sujets voyants avec les yeux bandés laissent penser que ceux-ci peuvent aider à constituer des échantillons représentatifs. Cependant ces voyants doivent être entraînés à la navigation les yeux bandés pour éviter la multiplication des écarts de cap de soixante degrés tels que nous avons pu les constater lors de l’expérience 1. Les sujets voyants les yeux bandés ayant participé aux expérimentations précédentes sont des bénévoles de l’association Orion citée en préambule. Ces derniers sont ainsi entraînés à naviguer sous bandeau et avertis quant aux contraintes impliquées par la vie dans le noir.

Finalement le parcours en relief utilisé (annexe 5) ne correspond pas exactement au parcours de match-racing exposé en préambule. En effet, pour des raisons de simplifications, nous avons supprimé la ligne de départ. La difficulté de cette ligne consiste en la détermination de sa longueur par le mouilleur* du parcours. Ainsi, pour respecter les cartes tactiles et donc les représentations spatiales des marins non-voyants, la ligne de départ doit entraîner le rallongement du cadre de course d’une fraction à droite. Après calculs cela correspond à une longueur de ligne représentant dix-huit pourcents de la longueur du parcours en route directe. Or, pour cela, le mouilleur a besoin de cette longueur de parcours et d’un moyen de mesure de positionnement précis. Ici seul le G.P.S. peut permettre une telle opération. La complexité de cette mise en place nous amène à n’en proposer une que lors de sa réelle nécessité : match ou travail spécifique sur le départ.

En conclusion pratique, la mise en place d’expérimentation pour l’entraînement en match-racing non-voyant nécessite une utilisation rigoureuse du G.P.S..


 

VI.           Conclusion

Les résultats de cette étude confortent l’existence de représentations spatiales non visuelles largement étudiées par le courant cognitiviste. Cependant à notre connaissance les problèmes de locomotion maritime en situation de cécité n’ont pas été traités de façon scientifique jusqu’à présent. Aussi l’efficacité de la stratégie du couplage d’informations issues de cartes tactiles et de repères de temps à vitesse constante montre les compétences cognitives spatiales et les capacités d’apprentissage dans ce domaine des marins non-voyants. Ces résultats encourageants sont propices à l’approfondissement du sujet. En effet l’activité voile pour les personnes non-voyantes se prêtent à différents types de questions : une interrogation fondamentale sur l’« amodalité » de la représentation spatiale ; une autre interrogation plus spécifique sur les mécanismes de compensation de l’absence totale d’images et de souvenirs visuels chez les personnes aveugles congénitales, un autre type de question plus clinique fait appel à la notion d’imaginaire. Ainsi les marins non-voyants sont en proie à des sensations laissant libre cours à leur imagination. Mais quel rôle peuvent jouer des affectes positifs dus à des sensations de liberté sur le traitement cognitif de l’espace ? ou au contraire quelle influence les affectes négatifs liés à un sentiment d’angoisse peuvent-ils avoir sur l’activité cognitive des personnes non-voyantes ? Il serait particulièrement intéressant de pouvoir mêler à nos travaux cognitivistes des modèles concernant les émotions humaines.

L’activité des marins de l’association Orion en rade de Brest se révèle particulièrement propice au développement de multiples travaux de recherches. La puissance de ce projet d’étude avec les personnes non-voyantes réside dans son articulation entre la pratique et la théorie.


 

VII.         Perspectives

Cette étude valide les outils « bouées sonores », « montre vocale » et « carte en relief » pour la représentation spatiale des marins non-voyants en match-racing sonore. Ainsi elle constitue une ouverture pour l’entraînement de ce public aux réflexions tactiques en voile sonore. Cependant les règles inhérentes à l’activité, le cheminement d’une progression pédagogique adaptée et une méthode systématique d’entraînement restent à découvrir.

L’idée de départ d’une future étude consiste en l’utilisation de ces outils appliqués non seulement à la position du voilier sur lequel se trouvent les sujets mais également à celle de la position de l’embarcation adverse au cours d’une « régate duel » (match-racing). Ces outils pourraient également être utilisés pour mettre au point une stratégie efficace quant au départ, phase particulièrement importante et complexe en match-racing. Par ailleurs cette étude n’a pris en considération que la phase de remontée au vent. Or un parcours correspond à deux remontées au vent et deux descentes sous le vent ; aussi une expérimentation doit avoir lieu dans ce sens. En fin de compte la pratique montre que les « enroulements » (contournements) des balises sonores sont des moments clefs de la performance en match-racing. Une nouvelle fois l’utilisation des outils mis au point semble nécessaire.

Dans le cadre d’une étude sur l’entraînement des sujets non-voyants en match-racing sonore la bibliographie nécessite d’être enrichie d’une documentation sur l’entraînement en match-racing voyant. Par la suite cette étude pourrait venir enrichir les méthodes d’entraînement des « voyants ». En effet, lors d’une semaine d’entraînement intensif à l’Ecole Nationale de Voile, Faustine Merret, médaillée d’Or en planche à voile aux Jeux Olympiques d’Athènes en août 2004, explique avoir navigué pendant une semaine les yeux bandés avec une tierce personne pour la guider quant aux marques. L’objectif de cet entraînement est d’« affiner les repères de glisse » autres que visuels. Ainsi il se peut que les marins non-voyants et les méthodes qu’ils utilisent servent un jour à l’entraînement haut niveau en voile.

Suite à l’ensemble de ces travaux, deux publications pourraient être envisagées. Un article est en cours de préparation sur les repères permettant aux marins non-voyants de conduire un voilier au près. Par ailleurs une autre étude sur le fonctionnement du couple « informations par synthèse vocale – carte marine en relief » pour doit être engagé prochainement. Ce dernier article utilise l’étroitesse du goulet de Brest pour valider l’utilisation de ce système.

Une suite à ce travail sur le thème de la cartographie maritime électronique adaptée aux marins non-voyants est envisagée. De futures recherches pourraient aboutir à la mise au point d’un générateur de champs magnétiques produisant des informations tactiles perceptibles par l’intermédiaire d’un gant électromagnétique. Ainsi l’objectif est de permettre aux marins non-voyants d’avoir accès aux précisions combinées des cartes numériques et des satellites G.P.S.. De cette manière il serait possible à ces marins de savoir en permanence où ils se trouvent dans l’espace maritime. Cependant, pour que ce système soit efficace, des confrontations entre différents codages informationnels sont à mettre en oeuvre.

Au regard des résultats de cette étude sur les représentations, les outils « carte en relief » et « montre vocale » améliorent les performances du repérage spatial des marins non-voyants. Cependant ce constat pose une question primordiale en terme d’apprentissage : lors de la suppression de ces outils, les sujets ont-ils appris ? Ou présentent-ils à nouveau les mêmes performances que celles réalisées avant la découverte de ces outils ? Autrement dit, notre stratégie est-elle exclusivement une « béquille » permettant d’améliorer les représentations spatiales autres que visuelles sur l’eau ? Ou participe-t-elle à une réelle méthode pédagogique pour un apprentissage durable de l’espace maritime sans la vue ? De la même manière dans quelle mesure les cartes marines adaptées participent-elles à l’élaboration de savoirs et de savoir-faire permanents et durables en cas de non utilisation de ce nouvel outil.

Finalement,l’augmentation continue du nombre de marins non-voyants en France depuis trois ans fournit un terrain d’expérimentation particulièrement favorable à l’étude des mécanismes d’élaboration des représentations autres que visuelles. Par ailleurs, cet accroissement du public handicapé visuel sur l’eau légitime de futures études pédagogiques sur le sujet de l’apprentissage de l’espace maritime.

 

 


 

Glossaire

Abréviations :

G.P.S. : Global positionning system (système de positionnement par satellites)

O.M.S : Organisation Mondiale pour la Santé

S.T.A.P.S. : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives

Termes de voile :

Abattre : écarter la trajectoire du voilier de l’orientation face au vent

Amure : flan d’une voile présentée au vent

Au vent : au plus proche de la source du vent

Cadre de course : Etendu géographique d’un parcours de voile. Lorsque le régatier quitte cette zone il parcourt plus de distance que nécessaire.

Compas : boussole fixée à bord du voilier indiquant le cap du voilier à la surface de l’eau.

Empanner : réaliser un changement d’amure* dos au vent

Gomme fixe : « pâte à modeler » collante

Louvoyage : Action d’effectuer une trajectoire en zigzag pour atteindre un point situé dans l’axe du vent à la voile

Mouilleur : personne chargée de la mise en place des bouées sur un parcours de voile

Près ou « allure du près » : direction de déplacement d’un voilier la plus proche possible de la source du vent. Pour cette étude nous considérons l’allure du près remontant à environ quarante degrés de l’axe du vent

Remontée au vent : Action de se diriger en voilier vers un point se situant vers la source du vent. Une remontée au vent s’effectue à l’allure du près*

Sous le vent : au plus loin de la source du vent

Vent réel : vent créé par les conditions météorologiques

Vent vitesse : vent créé par le déplacement du voilier

Virement de bord : changement de direction d’un voilier en passant par la source du vent. Ici, nous passons de l’allure du près sur un bord à l’allure du près sur l’autre bord.

Un nœud : 1,852 km/h.     8 nœuds sont égaux à environ 15 km/h

                                       15 nœuds sont égaux à environ 28 km/h

Termes handicap visuel :

Non-voyant tardif : personne ayant vu avant de devenir aveugle.

Non-voyant précoce : personne n’ayant jamais vue.

Termes de psychologie :

Haptique : tactilo-kinesthésique. Les informations haptiques sont issues de l’exploration tactile active des objets.


Annexes

 

 

Légende des représentations graphiques des trajectoires

 

 

Trajectoire demandée

 

 

Trajectoire réalisée

 

 

Trajectoire représentée

 

 


 

Annexe 1


 

Annexe 2


 

Annexe 3


 

Annexe 4


 

Annexe 5


 

Annexe 6

 

 


Bibliographie

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[1] Chaque astérisque* renvoie à une définition du glossaire.